Du béton des entrepreneurs et des ingénieurs à celui des architectes

Fouad Akalay est un architecte atypique. Avant de fonder le groupe Archimedia il y a quinze ans, il a passé sa carrière dans l’industrie du béton dont il en connaît l’histoire, les ressorts et les acteurs. Il nous retrace dans cet article, les grandes lignes de l’évolution de ce matériau.

MORTIERS ET CHAUX, UNE HISTOIRE MILLÉNAIRE

Si l’histoire du béton dans sa composition actuelle est récente, les mortiers et la chaux ont, depuis des millénaires, été différemment utilisés par de nombreux peuples : Chinois, Egyptiens de l’antiquité, Incas, Mayas, Maures d’Andalousie … ont tous travaillé la chaux obtenue par cuisson d’une roche calcaire suivie d’une extinction à l’eau. Les Romains ont constaté qu’en y ajoutant de la terre de Pouzzole, issue des cendres volcaniques, le mortier pouvait, sans qu’ils puissent comprendre la réaction, faire prise sous l’eau.

Bien plus tard, à la fin du XVIIIe siècle, le mortier commence à faire l’objet de plusieurs tentatives de recherches de la part d’ingénieurs et d’entrepreneurs jusqu’à ce qu’un certain Louis Vicat (1786-1861) entrevoit les multiples possibilités des mortiers de ciment. Il expérimente, alors, ses premiers bétons et construit le pont de Souillac (France), qui porte aujourd’hui son nom. Il établit les premiers dosages des différents composants nécessaires à la constitution du ciment artificiel lors de la cuisson. En 1828, il réalise un pont suspendu en ciment, au-dessus de la Corrèze, à Argentat, une expérience incroyable à cette époque qui fourmille d’autres tentatives aussi audacieuses les unes que les autres.
En 1824, l’Ecossais Joseph Aspdin dépose le brevet du Ciment Portland qui améliore la qualité de cette poudre et en France, un polytechnicien, Pavin de Lafarge, installe, en 1833, des fours à chaux au Teil : la première usine de ciment vient de voir le jour.

FRANÇOIS COIGNET (1814-1888) ET LA «PIERRE SANS FIN»


En 1854, le Lyonnais François Coignet dépose un premier brevet pour du « béton économique » : un mortier battu et écrasé, dans des coffrages, qui forme un bloc dur comme de la pierre qu’il définit comme une « pierre sans fin ».Ses multiples recherches aboutissent à de nombreux types de béton pour lesquels il dépose de nombreux brevets : bétons : plastiques, hydrauliques, pierre artificielle, etc. Grand communicateur, ses recherches et travaux font le tour du monde et en 1861, cet entrepreneur publie un livre « Bétons agglomérés appliqués à l’art de construire », dans lequel il prédit un nouveau règne : celui qui va permettre, grâce à ce matériau, économique et hygiénique, de « combattre l’injustice et la misère ».

LA CHAINE DE VALEUR DU BÉTON ARMÉ S’ORGANISE


Parallèlement à ces recherches sur les mortiers et bétons, la filière acier trouve ses premières marques et la véritable production industrielle débute avec l’invention, en 1855, du four Bessemer qui permet la fusion de minerais de faible teneur. L’acier est largement disponible et vers la fin du XIXe siècle, on trouve aisément dans les dépôts de matériaux de construction du ciment conditionné en sac ou en baril, des aciers calibrés et du grillage, ancêtre du treillis soudé, dans des comptoirs répartis dans toute l’Europe. De manière logique, l’expansion de l’emploi du béton armé a été concomitante au développement des réseaux de distribution de ses composants.

DES CHERCHEURS S’INTÉRESSENT AU NOUVEAU MATÉRIAU : LE BÉTON ARMÉ


Vu la multitude d’expériences et de recherches à travers le monde, l’invention du béton armé ne peut donc pas être attribuée à un inventeur unique. Elle est la résultante de plusieurs réflexions et tentatives clairsemées dans les pays avancés. A la fin de XXe siècle, des milliers de brevets sont déposés à travers le monde et, rien qu’en France, on compte 262 brevets avant 1906. Mais, déjà, les avancées sont majeures comme celle de Ransome, aux USA, qui invente la technique des aciers torsadés pour augmenter l’adhérence, ou celle de Koenen précurseur de la prédalle, ou encore Armand Considère avec son béton fretté, qui met en place une armature en spirale pour augmenter la résistance à la compression.
A l’aube du XXe siècle, le béton armé connaît un succès éclatant dans le monde du bâtiment et la majorité des entrepreneurs finissent par l’adopter.

FRANÇOIS HENNEBIQUE (1842-1921) ET SON ÉTRIER MAGIQUE


Il va révolutionner le béton armé en plaçant judicieusement, là où il faut, les aciers suivant les contraintes. Il invente l’étrier pour relier les aciers entre eux afin de répondre à l’effort tranchant tout en facilitant la mise en oeuvre du ferraillage.
L’étrier, lui donne une longueur d’avance sur ses concurrents car il s’adapte aisément à une main-d’oeuvre peu qualifiée. François Hennebique croit aux vertus de la communication et, pour vulgariser sa technique, il organise un congrès annuel sur le béton armé dès 1897, édite une revue dédiée « Le béton armé » en 1898 et organise des évènements et démonstrations auxquels sont conviés les professionnels de la construction.
Le béton Hennebique est utilisé dans de nombreux pays, démontrant ainsi ses facultés d’adaptation formelle aux désirs des architectes grâce, notamment, à sa « moulabilité », comme au Musée des antiquités égyptiennes au Caire inauguré en 1902 conçu par l’architecte Marcel Dourgnon ou dans les magasins Félix-Potin de l’architecte Paul Auscher, rue de Rennes à Paris en1904, démontrant ainsi sa capacité à répondre aux exigences de l’éclectisme architectural ambiant.

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