INTERVIEW AVEC JEAN DETHIER, ARCHITECTE

A l’occasion de la tenue d’une conférence qui aura lieu vendredi 15 septembre à 17h00 au siège des Archives du Maroc à Rabat, Jean Dethier architecte et conférencier/modérateur de cet évènement s’est entretenu avec Fouad Akalay architecte et directeur-fondateur du groupe Archimedia sur l’intérêt et l’objet d’une telle initiative.

A+E // Comment est née l’idée à l’origine de l’organisation de cette conférence sur les archives ?


Jean Dethier // L’idée est née du constat qu’un certain nombre d’architectes vivant au Maroc, désormais assez âgés, sur le point d’achever leur carrière ou l’ayant déjà achevé se posent la question de savoir que faire de toutes leurs archives professionnelles c’est-à-dire leurs dessins, leur courrier, leurs maquettes ; ce qui sur plus de trente ans constitue une masse considérable de documents.
Dans certains cas c’est radical, comme un architecte à Bruxelles qui a tout brulé. Aujourd’hui, la notion d’archives d’architecture a pris une importance énorme en Europe, et notamment en France. C’est que les musées d’art et d’architecture ont pris aussi une énorme importance depuis maintenant 30 à 40 ans. Ayant travaillé au Centre Pompidou pendant trois décennies, mon rôle était, dans le cadre de cette activité interdisciplinaire, de faire des expositions sur l’architecture et sur la ville. On ne peut faire d’expositions sur ces thèmes s’il n’y a pas des archives où on peut emprunter des documents, des plans, des dessins, … etc. Par ailleurs l’architecture a toujours été la seule forme de création artistique pour laquelle le citoyen n’a aucun choix.. Tout citoyen d’un pays peut choisir de lire ou de ne pas lire un livre, il peut choisir de ne pas aller à un concert, une pièce de théâtre, … etc. L’architecture par contre, il l’a subi, de sa naissance jusqu’à sa mort, nuit et jour, où qu’il soit, et paradoxalement, c’est la forme d’art sur laquelle il y a très peu d’activités analytiques d’où l’importance de chercher à la démocratiser comme l’a fait le Centre Pompidou depuis 30 ans.

A+E // En quoi est-ce si important d’avoir ce type d’archives ?


J.D // La diffusion de la culture architecturale et urbaine, à travers des expositions thématiques, n’est possible que si l’on peut puiser dans des documents qui se trouvent dans les archives. Par exemple, j’avais réalisé, au Centre Pompidou, une exposition qui s’appelait : Image et souvenirs d’architecture. C’était une grande exposition dans la galerie du 5éme étage, sur 1 500 m2 qui montrait comment avait évolué la représentation en architecture en Europe de 1830 – date de naissance de la photographie – jusqu’à nos jours. Pour faire ce panorama, que personne n’avait jamais fait auparavant, et qui a fasciné le public ( 280 000 visiteurs en 3 mois) ce qui est phénoménal pour une exposition d’architecture, on avait emprunté des œuvres à 140 centres d’archives en France et en Europe. Ces archives pour la plupart n’existaient pas il y a 100 ans. C’est donc un phénomène nouveau et le Maroc est à son tour confronté à ce genre de problèmes : il n’y avait pas de traditions de musée, phénomène spécifiquement occidental. On a mis longtemps à accepter et pratiquer l’idée qu’il fallait constituer des archives, et pour qu’elles soient utiles il faut qu’elles soient publiques ou accessibles et qu’on connaisse leur existence. Le débat, aujourd’hui, c’est de voir comment le Maroc peut amorcer une stratégie de collecte de documents publics ou privés pour constituer des fonds et, pour éclairer ce débat il y aura l’acteur de la principale archive d’architecture moderne en France.

A+E // Merci pour ces éclaircissements, mais concrètement, qui a eu l’idée d’une telle rencontre, inédite, il faut l’avouer?


J.D // C’est moi qui ai proposé d’organiser cette conférence en constatant le dilemme devant lequel on était. Je me suis dit qu’on peut proposer ce débat à l’Institut Français qui a réagit favorablement ainsi que les des Archives du Maroc. On est deux à parler avec David Peyceré qui est un spécialiste et le conservateur en Chef des archives et d’architecture du XXème siècle à Paris. Ces dernières ont été crées d’ailleurs par un Belge, Maurice Culot.
David Peyceré va venir parler de son expérience et puis moi dans la foulée je vais parler aussi de la mienne au Maroc, qui est une contre-expérience un peu tristounette.

A+E // Dans quel sens ?


J.D // Le CERF (Centre d’expérimentation de recherche et de formation) a été crée, à Rabat, en 1968 et proposait des idées nouvelles en matière d’habitat et d’urbanisme : je supervisais trois divisions pendant trois ans avec une équipe composée de 6 personnes. On avait rassemblé plus de 20 000 photographies sur les villes du Maroc, les anciennes et les nouvelles, j’avais aussi collecté dans toutes les régions et villes tous les plans d’urbanisme qui n’avaient plus de valeur juridique pour constituer un lieu d’archivage. De même, j’avais constitué une bibliothèque spécialisée sur l’architecture et l’urbanisme au Maroc, au Maghreb et dans le tiers monde.
En 1973, le CERF a été dissout, et à ma connaissance toutes les archives avaient disparu on ne sait où ? C’est d’ailleurs, l’une des énigmes que je compte résoudre lors de cette conférence. Une espèce d’enquête policière à faire : est-ce que tout a été tout simplement jeté ? Est- ce que cela à été morcelé ? Selon certains, les photos ont été transférées à l’Ecole d’architecture de Rabat, la bibliothèque a été transférée au ministère de l’Habitat, donc cette double conférence a pour but de poser une problématique avec un certain nombre de flashbacks de ce qui c’est passé au Maroc et en France et surtout de réfléchir quel est l’avenir de tout ça, et ce, en partant du principe qu’un pays ne peut pas se priver d’une mémoire sur l’histoire de ses villes.

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