Mimouni El Houssaïne à la Galerie Tindouf

" Les échelles du temps ª

Mimouni El Houssaïne

Chez Mimouni, la terre natale avec ses couleurs ocre, rouge, jaune et bien d’autres nuances est le capital principal de la création. Partout où il va et tout ce qu’il peint est là dans cette relation fondatrice de tout son art. Il faut voir ses premières esquisses, ses toiles du début et celles qu’il expose aujourd’hui pour constater l’importance de ce lien, cette permanence parfois obsessionnelle, d’autres fois détournée, enjouée, en rupture ludique, ou simplement dans une errance réparatrice. Que ce soit dans des empreintes laissées par le temps ou des paysages à peine tracés, c’est cette terre si charnelle, si aride et si énigmatique qui se présente à nous. L’enfance et ses moments tendres ou violents, creuset de souvenirs jamais éteints, peut-être réinventés, éblouis et dansants, est là dans tout ce que la main et la mémoire de Mimouni restituent.

Mimouni sait l’élégance de la légèreté surtout quand il fouille dans sa mémoire. Des fagots et des échelles hantent ses toiles. On imagine des paysannes courbées sous le poids de ces éléments pour faire du feu.

On devine leur peine, leur solitude. Quant aux échelles, elle sont nues, elles sont là pour remonter le temps, pour monter dans le train du sommeil ou du rêve, même si elles ne mènent nulle part dans le ciel. Elles sont suspendues entre terre et ciel. 

C’est là que se situe l’échappée créatrice, celle qui rappelle les racines.

Il y a une poésie dépouillée comme de l’air sec, comme une parole décisive, comme un geste sans appel qui traverse les peintures de Mimouni. 

Alors qu’Antoni Tàpies n’a cessé de peindre les blessures de sa Catalogne natale en jetant sur des toiles de jute des cris de colère noire, Mimouni le rejoint en modérant cette colère, la rendant moins définitive et surtout moins désespérée. C’est tout à fait normal qu’un enfant de ce Maroc des années soixante veuille nous dire son enfance, nous montrer ses failles avant de s’en libérer. 

La lumière passe, laisse des traces, imprime des signes, des symboles parfois archaïques, une gestuelle festive. 

Ce n’est pas une peinture abstraite. Ni abstraction, ni nature morte. Le travail de Mimouni s’écarte de ses catégories, obéissant aux lois non écrites d’une tradition esthétique qui s’exprime aussi bien dans l’architecture, dans des broderies, des tapis que dans des objets usuels. 

Mimouni est préoccupé par l’orientation Nord, une direction non géographique, plutôt morale et spirituelle puisqu’elle vise ce qui est élevé, ce qui est haut dans toute espérance. 

Au bout de ce néant étoilé, une barque ou quelque chose qui lui ressemble. Un départ ou une arrivée sont possibles. Signe d’un voyage incertain, né de ce qu’il appelle « mon tourbillon intérieur ».

Il dit aussi que « les peintures sur papier récupéré sont un élément vital et essentiel, peut-être à cause de leur fragilité». Il parle aussi de respiration, de souffle, d’épuisement. Mimouni est l’archéologue inquiet de la matière qu’il traine avec lui depuis toujours. Une matière qui fonde l’enfance et la poursuit quels que soient le lieu et le temps où il retrousse ses manches et se met au travail. 

Qu’il soit à Taroudant, sa ville natale ou à Montpellier où il enseigne, Mimouni a des toiles dans la tête, entre les mains, des peintures, des fresques, des tableaux qui dépassent les limites, partout où il va, des couleurs de la terre jaillissent pour former un poème, une histoire, des interrogations. 

L’enfant du pays voyage, la terre et ses couleurs le suivent. Alors il peint. Nous lui disons : merci!

ARTICLE PAR Tahar BEN JELLOUN
CRÉDIT PHOTO © Saâd A. TAZI

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