Fadwa El Gharib s’inscrit dans le sillage d’une nouvelle génération d’architectes d’intérieurs, pour qui le geste contemporain dialogue avec la mémoire des formes. Élevée au cœur d’un univers peuplé d’antiquités, de textures rares et d’objets d’art, elle affine très tôt une sensibilité nourrie par le détail et la justesse. Formée à Paris, son parcours oscille entre rigueur académique et liberté créative. Après plusieurs collaborations, elle fonde Elf & Partners, son propre studio, où elle développe une vision singulière du design et de l’architecture d’intérieur : contextuelle, sensorielle, profondément enracinée dans les matières et les histoires qu’elles racontent. À l’occasion de cet entretien avec A+E, elle revient sur ses inspirations, son approche et ce que signifie, pour elle, concevoir des espaces qui ont avant tout « une âme » et du sens.
A+E // Qui suis-je ?
Je suis Fadwa El Gharib, architecte d’intérieur et designer, actuellement établie à Marrakech. Mon parcours professionnel est profondément enraciné dans un héritage familial dédié à l’art et à l’esthétisme. Ayant grandi dans un environnement où les objets d’antiquité et les œuvres de maîtres étaient omniprésents, grâce à mon père antiquaire et galeriste, ma vocation pour les arts appliqués s’est manifestée très tôt.
Mon cheminement académique a débuté en France, par une classe préparatoire artistique aux prestigieux « Ateliers de Sèvres ». Cette formation initiale m’a permis d’acquérir des bases solides en dessin, composition et histoire de l’art, essentielles à l’épanouissement de ma créativité. J’ai ensuite approfondi mes connaissances en obtenant un Master en Architecture d’Intérieur et Design à l’Académie Charpentier, où j’ai développé une expertise en conception spatiale et en design mobilier.
Soucieuse d’élargir ma vision et d’intégrer les dimensions stratégiques du marché, j’ai complété ma formation par un Master spécialisé en « Marketing, Design et Création » à Audencia Business School. Ce programme m’a offert une perspective unique, en établissant un pont entre les outils du marketing et le design dans sa globalité, de la création produit au design thinking axé sur l’expérience client. Cette double compétence me permet aujourd’hui d’aborder les projets avec une approche holistique, alliant esthétisme, fonctionnalité et pertinence commerciale.
Mon expérience professionnelle parisienne a été jalonnée de passage enrichissant au sein de cabinets de renom, notamment l’agence Alberto Pinto. Ces expériences m’ont permis de perfectionner ma pratique, de travailler sur des projets d’envergure et d’assimiler les standards d’excellence du design international.
Au Maroc, j’ai eu le privilège de développer ma compréhension de l’architecture marocaine à travers une collaboration enrichissante avec Karim El Achak, une figure reconnue du domaine. Ces collaborations ont été cruciales pour comprendre et intégrer les spécificités culturelles et architecturales locales, tout en apportant ma touche féminine et contemporaine. Fort de ces expériences et de ma vision, j’ai décidé de fonder ma propre structure, Elf & Partners, afin de proposer des solutions de design innovantes et sur-mesure, qui reflètent à la fois l’héritage et l’imprégnation de la matière dans un contexte moderne.
A+E // Comment définiriez-vous le rôle de l’architecte d’intérieur aujourd’hui ?
F.E.G. : Aujourd’hui, l’architecte d’intérieur va au-delà du simple aménageur d’espaces. Il est véritable meneur de jeu, tel un cavalier aux échecs, capable de manœuvrer stratégiquement pour transformer un environnement. Son rôle est de comprendre et d’anticiper les besoins humains, en intégrant des dimensions de sociologie et d’anthropologie pour créer des lieux qui résonnent avec les modes de vie et les interactions sociales. Il est également un gardien de la culture, capable d’insuffler une identité et une histoire aux espaces, tout en maîtrisant la technicité nécessaire pour concrétiser des visions complexes, de la conception à la réalisation.
A+E // Si vous deviez expliquer pourquoi vous avez choisi l’architecture d’intérieur comme métier, quelle image utiliseriez-vous ?
F.E.G. : Si je devais vous confier pourquoi l’architecture d’intérieur est devenue mon chemin, je vous parlerais des tableaux de Delacroix et de ces artistes orientalistes qui ont su capturer l’âme d’un monde. Pour moi, ce n’était pas juste de la peinture ; c’était une fenêtre ouverte sur une richesse inouïe : la caresse d’un tissu, l’éclat vibrant d’une couleur, la dignité d’un costume, et surtout, la grandeur silencieuse de ces architectures qui murmurent l’histoire de notre héritage.
C’est cette fascination pour le détail, cette envie de donner vie à ces atmosphères, de les rendre palpables et habitables, qui m’a irrésistiblement attirée vers ce métier. C’est comme si chaque espace que je conçois est une toile où je peux, à mon tour, raconter une histoire, tisser des émotions et inviter à la contemplation, un peu comme ces maîtres l’ont fait avant moi à l’aire de mon époque.
A+E // Quel autre métier auriez-vous aimé exercer ?
F.E.G. : Si je n’étais pas architecte d’intérieur, j’aurais voulu être médecin. Ces deux métiers partagent un profond volet humain : comme le médecin diagnostique et soigne le corps, l’architecte d’intérieur « diagnostique » les besoins d’un espace et « prescrit » des solutions pour améliorer le bien-être de ses occupants.
Notre richesse réside dans notre rôle de pont essentiel, traduisant les aspirations des clients en réalité concrète, en orchestrant le travail des ouvriers et artisans. C’est dans ces rencontres avec les ouvriers et les artisans, que réside une immense richesse, un apprentissage de valeur inestimable qui nourrit notre pratique et nous permet de concrétiser des visions complexes. Nous sommes les facilitateurs qui assurent que l’espace final est non seulement beau et fonctionnel, mais aussi profondément adapté et humain, imprégné du savoir-faire de chacun.
A+E // Quels conseils pouvez-vous donner aux jeunes futur(e)s architectes d’intérieur en quête de ce métier ?
F.E.G. : Il est crucial de choisir une bonne formation et de se nourrir de culture (l’histoire de l’art et de l’architecture). Développez une démarche intellectuelle de conception et maîtrisez le dessin technique ainsi que les outils, car on ne peut s’exprimer sans maîtriser ces instruments. N’oubliez pas que chacun peut trouver sa voie : on n’est pas tous obligés d’être concepteurs.
Certains excellent en exécution, d’autres en gestion de projet, ou encore dans des domaines spécifiques comme le textile. L’important est de chercher sa sensibilité et de collaborer pour affiner son identité professionnelle.
A+E // Qu’avez-vous à dire aux jeunes architectes diplômés à l’étranger qui hésitent à rentrer exercer au Maroc ?
F.E.G. : L’expérience internationale (organisation, esprit d’entreprise, démarche) est un atout majeur. Cependant, il est crucial de revenir au Maroc pour vous immerger dans la richesse de notre patrimoine, qui demande un réapprentissage et une adaptation à la réalité du terrain. Enfin, l’union de cette jeunesse formée ici et ailleurs est essentielle pour faire progresser le métier d’architecte d’intérieur et améliorer la pratique.
A+E // Quel changement majeur pensez-vous qu’il serait nécessaire de faire dans le domaine de l’architecture d’intérieur au Maroc ?
F.E.G. : Le changement majeur nécessaire dans le domaine de l’architecture d’intérieur au Maroc est la création d’un ordre professionnel des architectes d’intérieur. Cette initiative permettrait de régulariser et professionnaliser la pratique, d’améliorer la formation et de reconnaître les écoles, de construire un réseau solide et équitable, de rehausser la qualité de l’offre et de favoriser le rayonnement international.
SANS TRANSITION
A+E // Le métier d’architecte d’intérieur en une couleur ?
F.E.G. : On ne peut définir en une couleur mais je dirai plutôt le jaune, le rouge, le bleu de Kandinsky.
A+E // Le métier d’architecte en une citation ou proverbe ?
F.E.G. : « Tout l’univers est contenu dans un seul être humain : toi ! ». Ce proverbe de Rûmî met en lumière la richesse intérieure de chaque individu.
Pour l’architecte d’intérieur, cela signifie que chaque projet est une exploration de l’univers de l’occupant. L’espace doit être le reflet de sa personnalité, de ses aspirations, de son histoire. Il ne s’agit pas d’imposer un style.
A+E // Si l’architecture était un son ou une mélodie, lequel choisiriez-vous ?
F.E.G. : Medellin de Sofiane Pamart ! À écouter ici
A+E // Le métier d’architecte en une émotion : laquelle vous vient en tête ?
F.E.G. : L’émerveillement !
A+E // Si vous deviez décrire l’architecture avec un parfum ou une odeur, lequel serait-il ?
F.E.G. : Le jasmin.
A+E // Quelle saison représente le mieux l’architecture selon vous, et pourquoi ?
F.E.G. : Le printemps, une renaissance et une jouissance de l’œil et de l’âme !
A+E // Le métier d’architecte en un poème : lequel choisiriez-vous ?
F.E.G. : L’invitation au voyage de Charles Baudelaire. [A lire ici]
Mon enfant, ma sœur,
Charles Baudelaire
Songe à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes […]
A+E // Pour vous, l’architecture d’intérieur, c’est avant tout… ? (Complétez avec un mot ou une phrase)
F.E.G. : Une folie avec rigueur !