UL’Ask a Conservator Day est une journée internationale dédiée à la sensibilisation à la conservation du patrimoine culturel. Instituée en 2019, elle se tient chaque année en novembre pour commémorer les inondations de Florence du 4 novembre 1966, qui ont endommagé un patrimoine culturel inestimable. Une opportunité qui s’offre aux amoureux du patrimoine, l’occasion de poser des questions aux conservateurs sur leurs techniques de préservation des œuvres d’art, d’artefacts et des monuments. L’événement met en valeur le rôle crucial des conservateurs dans la protection et la préservation du patrimoine pour les générations futures, tout en partageant leurs connaissances à travers des échanges en ligne ou lors d’événements programmés dans les musées et les sites d’archives .
Cet événement aide à mieux comprendre les défis et les difficultés de la conservation, tout en encourageant le dialogue autour des pratiques et les méthodes de restauration et de préservation du patrimoine. Dans le but de sensibiliser l’opinion publique sur les rôles de ces conservateurs, ambassadeurs du patrimoine national, nous avons posé quelques questions à deux conservateurs de deux musées marocains emblématiques : “Oudayas, le Musée National de la Parure”, et le “Musée du Tissage et du Tapis Dar Si Said”. Ces institutions, dotées de collections exceptionnelles liées à l’histoire et à l’artisanat marocains. nous ont semblé être des témoins privilégiés des défis et des solutions de conservation dans le contexte local. Nous avons donc souhaité en savoir plus sur leurs approches de conservation, notamment face aux spécificités de leurs collections, afin de mieux comprendre comment ces musées réussissent à allier préservation et accessibilité dans un environnement souvent délicat.
OUDAYAS, MUSÉE NATIONAL DE LA PARURE
Fatima Zahra Khlifi, conservatrice du Musée National de la Parure de Rabat est native de la ville de Fès qu’elle qualifie de “véritable musée à ciel ouvert” qui a profondément marqué son amour pour le patrimoine marocain ainsi que son appréciation pour les richesses culturelles du Maroc. Elle a intégré l’Institut National des Sciences d’Archéologie et du Patrimoine (INSAP) à Rabat, où elle a suivi une formation en Archéologie et Muséologie. Soucieuse de parfaire son expertise, elle a ensuite obtenu un master muséologie, suivi d’un master spécialisé en muséographie. Son parcours professionnel se distingue par une riche palette d’expériences à travers des stages, des projets et des collaborations avec des institutions culturelles, des artisans, des artistes et d’autres acteurs du secteur.
Au cours de sa carrière, Fatima Zahra a intégré la Fondation Nationale des Musées du Maroc, où elle a pu contribuer activement à la gestion des collections, la conception d’expositions et à des projets de restauration, tout en démontrant une approche méthodique et créative. Plus récemment, elle a occupé le poste de conservatrice du Musée National de la Parure, où elle a pu mettre à profit son expertise dans un cadre prestigieux, à la fois exigeant et stimulant, tout en participant à la mise en valeur du patrimoine lié aux arts de la parure et à l’histoire des objets.
A+E // Quelles techniques de conservation spécifiques mettez vous en place pour sauvegarder les parures traditionnelles marocaines, étant donné que votre musée conserve de nombreux matériaux anciens et parfois très fragiles ?
Fatima Zahra Khlifi // La conservation des parures traditionnelles marocaines repose sur une approche à la fois scientifique et respectueuse des traditions artisanales. Pour préserver ces pièces souvent fragiles, nous utilisons des techniques de conservation préventive, telles que le contrôle rigoureux de l’humidité et de la température dans les espaces d’exposition et de stockage. Les matériaux utilisés pour l’emballage sont soigneusement sélectionnés : nous privilégions des supports sans acide (cartons, tissus, et papiers) pour éviter tout contact avec des substances chimiques qui pourraient accélérer la dégradation des objets.
Les bijoux et parures en métal sont régulièrement vérifiés pour détecter des signes d’oxydation ou de corrosion, et lorsque nécessaire, des traitements spécifiques sont appliqués, comme la désoxydation ou la protection par des revêtements de conservation. Nous employons aussi des interventions de conservation-restauration, en réparant les pièces lorsque nécessaire, mais en conservant autant que possible l’intégrité et l’authenticité des objets. Cela inclut parfois la consolidation de pièces métalliques oxydées ou la réparation des textiles et broderies. En somme, la conservation des parures traditionnelles marocaines requiert une approche alliant sciences et artisanat, afin de préserver ces objets tout en respectant leur histoire et leur valeur culturelle.
A+E // En tant que conservatrice, y-a-t ’il des critères ou des méthodes qui vous guident dans vos choix de pièces à intégrer dans les expositions, et comment gérez-vous cet équilibre entre la préservation et l’accessibilité pour le public ?
F. Z. K. // Le choix des pièces à exposer est une décision très réfléchie, qui repose sur plusieurs critères. D’abord, l’état de conservation des objets est primordial puisque certains bijoux ou parures, par exemple, peuvent être trop fragiles pour être exposés pendant une période prolongée. Dans ce cas, une alternative peut être de les mettre en exposition temporaire, en utilisant des techniques de présentation adaptées qui réduisent leur exposition à des conditions dangereuses (lumière, chaleur, manipulation)etc… . Ensuite, il faut tenir compte de la valeur historique, culturelle et symbolique de chaque pièce. Les parures traditionnelles marocaines sont souvent porteuses de significations particulières liées à l’identité sociale, à la région d’origine, ou à des événements culturels ou religieux.
Ainsi, chaque sélection est pensée pour raconter une histoire cohérente et variée de la richesse de l’artisanat marocain, de ses influences et de son évolution au fil du temps. L’équilibre entre préservation et accessibilité est une dimension importante de notre travail. Il est essentiel que les pièces restent accessibles au public pour qu’elles puissent être admirées et comprises dans leur contexte culturel. Cependant, il est également nécessaire de protéger ces objets contre les risques d’usure. Pour cela, nous utilisons des dispositifs d’exposition qui permettent aux visiteurs de voir les objets de près sans les toucher, grâce à des vitrines bien conçues. Nous intégrons également des dispositifs interactifs et pédagogiques qui permettent de mieux comprendre la signification des objets et la technique de fabrication, tout en minimisant le contact physique avec les œuvres.
De plus, nous organisons des expositions temporaires et des événements qui permettent de présenter des pièces très fragiles pendant des périodes limitées, en mettant en place des mesures strictes de surveillance et de contrôle. Cela permet de renouveler l’intérêt du public tout en respectant les impératifs de conservation.
A+E // Quels conseils donneriez vous aux amateurs et aux jeunes professionnels, intéressés par la conservation du patrimoine et qui envisagent d’étudier ou de travailler en particulier dans le domaine de la parure et des bijoux traditionnels ?
F. Z. K. // Le domaine de la conservation du patrimoine, et en particulier celui des parures et des bijoux traditionnels, est une discipline exigeante qui nécessite à la fois une expertise technique et une sensibilité culturelle. Je conseille aux jeunes professionnels de commencer par une formation solide en conservation, mais aussi en histoire de l’art et en histoire des techniques. Il est important de comprendre non seulement les matériaux et leur dégradation, mais aussi le contexte culturel et symbolique de chaque pièce pour pouvoir mieux la préserver. Je recommande également de s’impliquer dans des projets de terrain, de travailler en étroite collaboration avec des artisans et des communautés locales pour comprendre l’artisanat et les techniques de fabrication des parures traditionnelles. Cette collaboration est essentielle, car elle permet de mieux appréhender la manière dont ces objets ont été conçus, leur fonction dans la société, et comment les préserver sans altérer leur caractère original.
Enfin, il est crucial de s’intéresser à la conservation préventive. C’est une approche qui vise à minimiser les risques de dégradation avant même qu’ils ne surviennent, en mettant en place des conditions optimales de conservation (contrôle de la lumière, de l’humidité, etc.) et en évitant les manipulations inutiles. La conservation préventive permet de prolonger la durée de vie des objets sans avoir besoin d’interventions lourdes de restauration.
MUSÉE DU TISSAGE ET DU TAPIS DAR SI SAID – MARRAKECH
Khalid Loukid, conservateur au Musée National du Tissage et du Tapis Dar Said, incarne une véritable passion pour le patrimoine textile marocain, et plus particulièrement pour le “Tapis Marocain”, un symbole culturel riche de sens. Diplômé en Archéologie Islamique, il a par la suite obtenu un Master en muséographie à l’Institut National des Sciences d’Archéologie et du Patrimoine (INSAP) de Rabat, consolidant ainsi son expertise dans le domaine muséal.
Actuellement doctorant à l’université d’Aix-Marseille, dans la discipline « Mondes arabe, musulman et sémitique », ses intérêts et compétences l’ont conduit à poursuivre une quête de connaissance ambitieuse et multidisciplinaire, approfondissant en passion des sujets complexes dans divers domaines. Son expérience professionnelle singulière est ponctuée par des moments forts tels que des stages au Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem) à Marseille et au Musée d’histoire et des civilisations à Rabat. Au cours de ces périodes, il développe des compétences pointues en conservation et en valorisation du patrimoine.
A+E // De quelle manière le musée procède-t-il à la sélection des objets d’art traditionnels marocains, afin de mettre en lumière les savoir-faire artisanaux ? Quelles méthodes sont employées pour garantir que ces objets reflètent fidèlement la culture artisanale de Marrakech et de ses environs ?
Khalid Loukid // Le Musée National du Tissage et du Tapis Dar Si Said est un musée à portée nationale, reflétant la culture du tissage de tapis à travers toutes les régions du Maroc. La sélection des objets se base sur leur aspect représentatif, culturel et scientifique. Le choix des collections est effectué par un comité scientifique au sein de la Fondation Nationale des Musées et chaque objet répond à plusieurs critères scientifiques tels que la bonne conservation, l’authenticité et l’originalité, entre autres. Pour qu’un tapis puisse entrer dans la collection du musée, il doit présenter à la fois un côté matériel et immatériel, comme les croyances et les rituels des femmes qui l’ont confectionnées.
A+E // Quelles initiatives le musée met-il en place pour sensibiliser les visiteurs, notamment les jeunes générations, à l’importance du patrimoine artistique et artisanal marocain ? Comment ces projets contribuent ils à renforcer l’engagement du public envers ce patrimoine ?
K. L. // Le musée Dar Si Said met en place, tout au long de l’année, un programme culturel ciblé. Parmi les publics cibles, les jeunes sont prioritaires. Les événements et manifestations culturelles organisés au musée se diversifient entre des expositions temporaires, des nocturnes et des ateliers pédagogiques. Pour attirer cette catégorie, des bornes interactives et une scénographie attrayante sont mises en place pour favoriser l’immersion et la compréhension des expositions, sans oublier la communication continue avec les jeunes sur les réseaux sociaux en partageant les nouveautés et les actualités du musée. Toutes ces initiatives contribuent à renforcer la fréquentation et l’engagement du public marocain pour la sauvegarde et la préservation de notre patrimoine.
Propos recueillis par Manal Fakhar