Exposition : quand le billet de banque raconte l’histoire du Maroc

NADIA SABRI

Le Musée de Bank Al-Maghrib présente actuellement une exposition intitulée « Une archéologie des images- le billet de banque marocain au prisme de l’histoire et de l’art du 4 Juillet au 30 octobre 2022, et ce, en partenariat avec la Fondation Nationale des Musées au Musée Mohammed VI d’Art Moderne et Contemporain à Rabat.


Issue des œuvres de la collection de Bank Al-Maghrib, cette exposition procède de façon inédite à une archéologie des images des billets de banque traversant en cela plusieurs histoires : celle des œuvres d’art et de l’imagerie coloniale documentaire et artistique, celle de l’histoire du protectorat et de l’indépendance du Maroc, et enfin celle de l’histoire de l’art au Maroc, et de l’histoire de l’art occidental.

Vue d’une Kasbah, détail du verso du 5000 F-BEM-type 1937-espace immersif de l’exposition © Nina Pilon
Vue sur le port de Casablanca, détail du recto du 10 000F-BEM-type 1953- espace immersif de l’exposition © Nina Pilon

A travers une lecture multiprisme cette exposition révèle la particularité d’un regard sur le Maroc construit autour de la réalité historique et artistique du XXème siècle.

Traversant les sujets et les iconographies de l’orientalisme et de l’art colonial, en passant par l’héritage architectural et ornemental, et par les premières œuvres de peintres marocains, jusqu’aux affirmations des artistes de la modernité, l’exposition dévoile le riche référentiel des images des artistes peintres, dessinateurs  et graveurs du billet de banque. Véritable mémoire iconographique d’une époque et authentique expression artistique des représentations et des symboles, les images du billet de banque dévoilent une partie inédite de l’histoire de l’art au Maroc.

Vue de l’exposition -©Nina Pilon

Considérant la recherche comme une partie inhérente de l’exposition, Nadia Sabri nous a servi une riche documentation et des archives présentées pour la première fois dans le cadre d’une exposition d’art au Maroc, les éléments du processus de conception artistique des billets, des archives de la Banque d’État du Maroc, des archives ethnographiques visuelles et écrites, illustrent la genèse et l’évolution des images des billets.  C’est avec enthousiasme et assurance qu’elle nous confie :

« C’est une exposition inédite qui a été l’occasion de mettre en forme mes recherches et réflexions de ces dernières années. L’invitation du musée de Bank Al-Maghrib pour réaliser une exposition dédiée à l’aspect artistique du billet de banque a été pour moi une très belle occasion de travailler à partir de plusieurs collections et, de ce fait, approfondir mes réflexions ».

Et d’ajouter en guise de conclusion

« Je voulais donner au public une forme à la fois documentée et esthétique sur un sujet convergent : comment les images ont été conçues et comment un code iconographique des billets de banque s’est construit. Cette question m’a ramenée inéluctablement vers l’histoire de l’art au Maroc au XXème siècle, et vers la peinture coloniale et les images ethnographiques ».

Vue de l’exposition – séquence dédiée aux portes et arches © Nina Pilon

INTERVIEWNadia SABRI

Historienne d’artCommissaire d’exposition

A+E // Où et comment se fabriquaient les billets de banque à cette époque ? Quels en étaient les principaux opérateurs impliqués dans ce processus à cette époque ?

Nadia Sabri, photo portrait ©Hind Chaouat

N.S : « Les billets étaient émis par la Banque d’État du Maroc et mis au point par la Banque de France. Ils étaient réalisés, pour cette institution, par des artistes peintres et graveurs européens. La conception artistique des billets était confiée à de grands artistes arts déco, comme André Maillart qui était par ailleurs 1er prix de Rome de gravure ».

A+E // Des architectes, du fait de leur formation artistique, ont été sollicités dans la conception des billets de banque et le Maroc n’a pas échappé à cette démarche. Qui sont-ils et pourquoi leur regard a été sollicité ?

« En cours d’étude des billets, j’ai découvert le nom de Laprade inscrit en bas à gauche du recto du billet de 500 Francs type 1923. Nous disposions de très peu de documentation sur la réalisation de la peinture d’Albert Laprade.  Un article paru en 2002 dans le PM Magazine (bulletin de l’association française pour l’étude du papier monnaie) sous la plume d’Alain Dailly mentionne néanmoins les archives du musée d’Orsay documentant et datant de 1921 le dessin et la peinture du billet réalisés par Laprade. Cela se fait donc après le retour de l’architecte du Maroc où il a travaillé de 1915 à 1919 au service des plans des villes du Maroc sous la direction d’Henri Prost.

Les documents et les archives nous renseignent par ailleurs de la réalisation par Albert Laprade durant son séjour marocain de nombreuses aquarelles représentant des paysages et scènes de genre. Le panorama de la ville de Fès qui illustre le recto du 500 F BEM, type 1923, s’inscrit dans la veine de cette production artistique « d’imagerie pittoresque du Maroc » très répandue à l’époque coloniale et qui n’était d’ailleurs pas spécifique aux illustrations des billets de banque.  Ces panoramas illustraient un Maroc figé dans le pittoresque sous le regard occidental ; des vues très présentes par ailleurs dans les peintures de Jacques Majorelle, Raoul Dufy ou encore Henry Pontoy ».

Matrices du recto du 100 F – BEM, type1928 représentant une vue de Kasbah – collection BAM-©Nina Pilon

A+E // Cette exposition couvre deux périodes, celle coloniale puis, ensuite, le Maroc nouvellement indépendant. Y a-t-il une rupture claire dans la démarche iconographique ?

N.S : « L’indépendance du Maroc amène l’expression de s’affranchir du regard de l’Autre et d’en constituer un nouveau. Les illustrations des billets véhiculeront ce désir. Elles vont exprimer une nouvelle symbolique : effigie royale, grands chantiers, et scènes de travail, véritables illustrations de l’élan nationaliste de l’époque. Si l’art du billet n’exprime pas une rupture radicale avec les illustrations héritées, il n’en demeure pas qu’il affirme des nouveautés : chromatismes vifs et   personnages dans des scènes de travail.

De façon générale, l’iconographie des billets du Maroc fraichement indépendant exprime les thématiques de la décolonisation tout en perpétuant des illustrations héritées de la période du protectorat comme les vues des villes impériales et des Kasbah, ou encore l’omniprésence du vocabulaire ornemental des arts décoratifs ».

A+E // Cette exposition est d’une richesse insoupçonnée. Avez-vous été surprise de trouver autant de « matériaux » à exposer ?

N.S : « Au départ, j’ai eu une intuition de chercheur : une forte croyance qu’il fallait suivre les pistes et mener une étude rigoureuse pour aboutir à des découvertes. Le premier pas a été d’étudier les documents du processus artistique de la réalisation des billets de banque (épreuves de gravures, matrices, peintures, etc.) qui font partie de l’exceptionnelle collection du musée de Bank Al-Maghrib. Il fallait aussi les mettre en rapport avec les œuvres artistiques de la même période.

Cette étude des billets, des œuvres et d’une époque de l’histoire du Maroc s’est transformée en une enquête stimulante où il fallait avancer d’indice en indice. L’exposition est devenue exponentielle pour atteindre une surface de 700 m2 environ.

1000 F BEM – 1921 – coll.BAM – ©Nina Pilon

Les liens subtils décelés entre les archives numismatiques, les archives du fonds Prosper Ricard du Service des arts indigènes, et les œuvres artistiques et illustrations des billets ont abouti à une profusion de matériaux qu’il fallait classer, de façon scientifique et esthétique à la fois, dans plusieurs séquences qui se connectent rationnellement et sensiblement.

Une exposition d’art étant une expérience sensible avant tout, il était judicieux de construire un récit global avec des sous-récits qui en bifurquent créant des sillons satellitaires, donnant une forme organique intelligible à l’ensemble et une expérience sensible en même temps ».

A+E // Quelles sont les « perles » que vous avez trouvées dans votre quête « archéologique » ?

N.S : « Plusieurs perles ont été au rendez-vous, notamment pendant les recherches sur la réalisation artistique de certains billets. Le 500 F TYPE 1923 conçu par l’architecte Albert Laprade en a été une majeure.

Il y a surtout la découverte des liens profonds entre l’iconographie des expéditions ethnographiques coloniales restituant le lexique formel des arts décoratifs marocains – notamment celui des tapis et des tatouages- et entre l’histoire de l’art au Maroc et l’iconographie artistique comme le motif à chevrons dans la peinture de Ahmed Cherkaoui ou les vagues stylisées de Mohamed Melehi.

Raconter l’histoire de l’art au Maroc par le prisme des images du billet de banque est en soi une perle qui ouvre sur un point de vue inédit de l’histoire de l’art ».


Quand les architectes conçoivent des billets de banque

Le célèbre architecte, Albert Laprade, célèbre concepteur du projet emblématique des Habous de Casablanca a été derrière la conception du recto du billet 500 F- type 1923. Gravé par E. Leclerc, il illustre un panorama de Fès réalisé à partir d’un point de vue extérieur de la ville, certainement aux pieds des tombeaux des mérinides. Cette vue n’est pas particulièrement spécifique et répond à la vision touristique de la ville véhiculée à cette période. Le verso du billet, peint par Gustave Fraipont, et gravé également par E. Leclerc, foisonne d’ornements issus des arts décoratifs marocains qui fournissent un registre exploité généralement dans les versos des billets de cette époque.

Albert Laprade
Cinq cents francs – Recto du 500 F, BEM, 1923.

Une archéologie des images : les intervenants

Le billet de banque marocain au prisme de l’histoire et de l’art est une exposition organisée dans le cadre de la célébration du 20° anniversaire du musée Bank – Al Maghrib au sein du musée Mohammed VI d’art moderne et contemporain à Rabat.

Exposition organisée par le Musée de Bank Al-Maghrib.

Commissaire d’exposition : Nadia Sabri

Scénographie : Ufografik

Photographie : Fouad Maazouz

Montage : Design4U

ARTICLE PAR Propos recueillis par Fouad Akalay
CRÉDIT PHOTO

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