Issy valley improvement de Salima Naji – Aga Khan Award

Un renouveau pour la vallée d’Issi Ait Mansour

SALIMA NAJI

Issy Valley Improvement, c’est le nom du tout nouveau projet de l’architecte fervente du patrimoine Salima Naji, sélectionné pour décrocher le prestigieux prix Aga Khan Award For Architecture (AKAFA) pour le cycle 2020-2022. Situé dans la région de Souss – Massa, le projet de développement de la vallée Issi Ait Mansour a été réalisé conjointement avec l’agence néerlandaise Inside Outside, spécialisée dans l’aménagement paysager.


Prônant les valeurs de développement durable et de préservation de la faune et de la flore, ce réaménagement de la vallée Issi Ait Mansour s’inscrit dans le cadre d’un grand projet hydro-agricole parrainé par le gouvernement pour le compte de la Société de Développement Touristique de la Région du Souss – Massa.

Crédit photo : Amine Houari

La phase initiale du projet tend vers l’amélioration des sentiers, cheminements et installations empruntés par les touristes ruraux et ce, en révisant les palmeraies et en rénovant les réservoirs/ collecteur d’eau.

Couvrant une superficie de plus de 140 000 m², ce projet, finalisé en 2020, répond parfaitement aux exigences et aux aspirations de la population locale. Au total, 14 kilomètres de sentier ont été créés sous forme de cercles pavés, en exploitant les ressources locales en technologie, technique et matériaux traditionnels avec la participation des ouvriers habitants de la vallée.

Respectant l’environnement et la culture des lieux, plusieurs rajouts ont été installés le long du sentier ; des éclairages, bancs, toilettes et des panneaux de signalisations ont été placés pour le bien être des touristes et surtout des habitants. Quelques  installations touristiques existantes le long du sentier ont elles aussi été améliorées.

Ayant comme objectif la symbiose entre l’Homme et son environnement, la démarche de Salima Naji préconise des interventions minimales cherchant à être « invisibles » dans le paysage et les établissements existants. Ce projet est une véritable mise en valeur des traditions vernaculaires.

Crédit photo : Amine Houari

A PROPOS DU PRIX AGA KHAN FOR ARCHITECTURE

Lancé en 1977, le prix Aga Khan d’architecture prime tous les trois ans, en terre d’Islam, des projets prônant de nouvelles pratiques d’excellence en matière d’architecture, de planification urbaine, de préservation historique et d’aménagement paysager. Ce prix identifie et encourage les concepts de construction répondant avec succès aux besoins et aspirations des sociétés à travers le monde, dans lesquelles les musulmans ont une forte présence.


Salima Naji, Architecte et anthropologue

Pour un voyage dans l’unique univers de ce projet, nous vous invitons à découvrir une interview exclusive avec l’architecte et anthropologue Salima Naji :

A+E // Un projet où l’homme et la préservation de la culture des lieux est le maitre mot, quelle est la vision conductrice de ce choix ?

S.N : « Technologies et institutions oasiennes ont été disqualifiées par le discours sur la modernité imposé par les autorités coloniales puis par les nouveaux états indépendants. Architectes, ingénieurs, aménageurs ont alors démultiplié les projets en s’opposant à toute conservation patrimoniale au profit de modernisateurs pressés. Devant l’effondrement de l’habitat oasien, que faire ? Accepter son inéluctable disparition sous nos yeux comme une nécessaire étape historique de «modernisation» ? Au cours des dernières décennies, la vie communautaire dans les zones rurales du Maroc s’est effritée à mesure que ses habitants se déplaçaient vers la ville. En particulier dans les régions reculées, la production agricole et les oasis ont décliné comme dans la Vallée de l’Yssy, une belle vallée de 14 kilomètres de l’Anti-Atlas, objet de ce projet.

Après un diagnostic rigoureux et de longues rencontres avec les bénéficiaires du projet, l’architecte et les consultants de ce projet, ont élaboré une stratégie visant à inverser la tendance. Pour cela, ils ont misé sur une nouvelle forme de tourisme durable, communautaire et étroitement lié au paysage. En concertation avec les communautés locales, sept lieux stratégiques, conçus comme des espaces publics ont été choisis à partir desquels de multiples points d’intérêt ont été inventoriés comme points de départ de découverte (architecture traditionnelle, hydraulique, aires de battage, greniers collectifs, …) pour proposer un nouvel aménagement plus respectueux des Hommes et du territoire. L’innovation est sociale : dans un pays marqué par les hiérarchies et le prestige de pacotille, il a été choisi de démultiplier les rencontres et les discussions au départ, autour de chaque site, autour des matériaux choisis, autour de l’écologie ou de l’environnement. »

A+E // Plus de 12 kilomètres de route, sentiers et pistes, quel a été le plus grand défi de ce projet ?

S.N : « La stratégie de découverte est fondée sur les HUBs : différentes attractions peuvent être facilement mises en place à partir d’une route partagée sur 14 kilomètres. Les éléments remarquables sont choisis et mis en valeur en fonction de thématiques liées aux sites. Ces points de visite bénéficient à un maximum d’utilisateurs, habitants comme visiteurs ; ils créent des surprises tout au long de la visite de la vallée, les uns appelant les seconds. Cette stratégie a un sens plus profond, elle sert une vision plus globale de la vallée : en choisissant des espaces clefs rendus publics on favorise la porosité de territoires en les rendant attractifs et interagissant. L’objectif est d’atteindre un tourisme durable, basé sur la communauté, en améliorant le potentiel local pour faire revivre les sites et refavoriser un ancrage.

De grands cercles de pierre sont des marqueurs de paysage qui – à l’instar des aires à battre – sont connectés directement à la route. Ils rythment ainsi les temps de découverte du voyageur en suggérant des pauses : les visiteurs savent que c’est là qu’ils peuvent s’arrêter pour trouver les services, les sanitaires, les éléments aménagés. Cette forme circulaire, reconnaissable, marque la halte et relie visiblement les sept points de la vallée. Une signalétique complète le dispositif. Les touristes savent que l’on peut trouver, à côté d’un centre d’intérêt, un endroit pour manger ou passer la nuit. Les hôtels et les restaurants ont été planifiés dans des sites du patrimoine culturel restaurés ou stabilisés.

Les cercles incarnent le tourisme rural – un tourisme qui profite d’abord aux habitants et qui est défini pour s’inscrire dans leurs territoires. L’idée est la notion dominante d’inutilité ou d’abandon (voire d’auto- dénigrement) soit remplacée par une notion de valeur. De convoquer un nouveau regard sur des sites exposés au béton et au nivellement par le bas ou une normalisation effaçant les spécificités locales. Contre cette tendance qui va en s’accélérant, le projet s’est concentré sur la préservation du paysage, l’eau, l’écologie de la vallée, la culture et l’architecture.

La phase première (2019-21) intègre le début et la fin du circuit (dans les deux sens de visite, depuis Tafraout, comme depuis Akka, avec une halte centrale en immersion dans le paysage. Une présentation de l’ensemble des HUBS est donc effectuée pour ouvrir à la découverte en donnant toutes les informations sur le contenu de la vallée par une signalétique simple : lieux à visiter, cafés et autres lieux de restauration, coopératives… Les phases suivantes (2021-24) poursuivront cette logique de découverte pour chacun des sites de cette si belle vallée menacée. La carte de l’ensemble des itinéraires permet de s’orienter et de s’organiser, tout en répartissant les visiteurs sur toute la vallée. La présence de parkings matérialisés incite à s’arrêter à l’ombre des palmiers et d’une nature à magnifier (et protéger). Les plans détaillent chacun de ces Hubs conçus sur mesure à partir du potentiel de chacun des lieux. »

A+E // Quelles sont les synergies en termes de construction écologique et procédés constructifs ancestraux qui ont été mis en œuvre dans le cadre de ce projet ?

S.N : « Le low-tech est privilégié ainsi que la paléo-inspiration : il s’agit de dépasser la dimension patrimoniale comme simple image d’un passé mythifié pour l’inscrire plutôt dans une réflexion sur les techniques héritées dans leur adaptation au climat. Le legs n’est plus pensé comme figé dans un présent ethnographique mais bien comme une ressource et une modalité d’action dans un contexte spécifique. En effet, la dynamique patrimoniale est un souci de conservation d’un élément venant entrer en résonnance avec le présent et qui est digne d’être conservé comme témoignage des sociétés passées. Il s’agit donc de reprendre le legs architectural pour ce qu’il est, de multiples tentatives d’adaptations à un contexte spécifique et de l’utiliser pour répondre aux enjeux contemporains : le réchauffement climatique, la rareté des ressources, le désir de bien-être. »

A+E // Si vous deviez résumer ce projet en une phrase seulement, quelle phrase choisiriez-vous ?

S.N : « Le projet est quasi invisible, il corrige, recentre, clarifie, épure et surtout requestionne le territoire, avec les habitants (sous forme d’ateliers et de discussions). Un projet « invisible » : un projet où l’architecte s’efface pour laisser apparaître les spécificités de la vallée.

Ce travail provient d’une expérience de deux décennies de notre agence au chevet des ensembles patrimoniaux remarquables (ksours oasis, villages fortifiés, greniers collectifs) en s’appuyant sur les habitants. Mais plutôt chercher à réfléchir ensemble au meilleur pour le plus grand nombre. Longtemps, j’ai en effet gommé ma propre production architecturale au profit de sauvetages de monuments anciens. En tant que « concepteur » se posent alors questions bien plus profondes que celles de la performance esthétique de la réalisation : celles de la pérennité de la qualité du vivre ensemble dans la durée. La qualité des espaces publics, leur pérennité, la justesse avec des contextes spécifiques souvent complexes (tribus, groupes sociaux).

Je vous renvoie à mon livre Architectures du bien commun, éthique pour une préservation

Architectures du bien commun, pour une éthique de la préservation – Salima Naji, Métis presses 2019

J’ai donc inventé de nouvelles approches à partir des modes constructifs basés sur notre héritage. Ce qui est à contre-courant de la norme du pays où se pratique plutôt l’architecture du tout béton tournant le dos aux pratiques ancestrales.

C’est cette méthode issue du vernaculaire qui a été transposée dans ce projet émanant de l’Etat vers les collectivités territoriales (projet pilote). Mais construire avec les matériaux locaux dans des paysages établis dans la durée, pour un tel projet reste une opération difficile, très exigeant à transposer dans le milieu de l’entreprise. II y a beaucoup d’échecs (trop d’acteurs et un feuilleté d’acteurs politiques). Il a fallu inventer un cahier des charges spécifiques (techniques issues de pierre sèche, pierre hourdée, palmiers, etc.) le rédiger pour l’adapter aux marchés publics. Puis ensuite, former les ouvriers, accompagner les essais nécessaires, affronter les refus, convaincre. Faire beaucoup de réunions pour déboucher sur des accords avec chaque groupe communautaire sur chaque espace choisi.

Parfois cela n’a pas abouti, d’autres fois, on a décalé, transposé. Dans tous les cas, il y a eu adaptation. Le plan est donc un guide pour l’entrepreneur, l’architecte et les bénéficiaires, et n’est donc pas un plan « no varietur ». Ce qui est complexe et nécessite un temps long de dialogue et de mise en œuvre sur le chantier. Les phases suivantes seront déterminantes. L’humain est central et toute approche technocratique stupide viderait le projet de son sens. »

ARTICLE PAR KAWTAR OUNIR
CRÉDIT PHOTO AMINE HOUARI

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