Le style moretti pour la postérité

Raffaele Moretti est né le 17 avril 1936. Il est, dit-il,  passé par trois périodes. La première où il a appris grâce aux artisans sur chantiers. La seconde période  riche en innovations, dans l’échange permanent avec les professionnels. Et la troisième, celle de la restitution de ce savoir. Entretien avec cet architecte qui aura donné son nom à un style bien particulier.

A+E //  Moretti ! Ce nom est connu depuis ma tendre enfance quand ma mère m’emmenait chez le pédiatre, le Dr Rémi Pichon, qui avait son cabinet dans ce bel immeuble.

Raffaele Moretti // Cet immeuble a été construit par mon grand père : il en était aussi propriétaire. C’est pour cela qu’il porte son nom : l’Immeuble Moretti ! Quand mon grand père qui porte exactement le même prénom que moi a acheté ce terrain, au début du siècle passé,  pour construire ce bel édifice, il y avait la CTM et un commissariat de police qui bloquaient l’avenue des Far qui n’existait pas encore en 1935. Alors mon grand père a fait un deal avec le vendeur « Je te paye la moitié du terrain aujourd’hui et quand ils dégageront la CTM je te payerai le reste ». Or celle-ci n’a été  dégagée que 15 ou 20 ans après et mon grand père  a payé l’autre moitié de la transaction avec l’ancien prix.

A+E // Comment, en tant qu’Italien, installé en territoire sous occupation Française,  avez-vous vécu la seconde guerre mondiale ?

R.M // Quand la guerre a éclaté, les Italiens, étant  ennemis des Français, se sont retrouvés au Maroc dans une mauvaise situation. On a été  expulsés de nos appartements et toute ma famille a été concentrée dans une villa qui lui appartenait rue Jean Jaque Rousseau. Nous, les enfants,  étions  très contents parce qu’on se retrouvait entre cousins et cousines ce qui nous permettait de nous amuser comme des fous dans cette promiscuité. Ca a duré jusqu’en 1946.

A+E // Comment a été suscité votre intérêt pour la construction ?

R.M // J’avais 10/12 ans lorsque mes oncles et mon père construisaient dans les années 50. J’allais souvent sur les chantiers avec eux et c’est là où j’ai pris le virus de la construction. Le métier d’architecte s’est imposé à moi comme une évidence.

A+E // Et l’architecture ?

R.M // Après mes études au Lycée Lyautey de Casablanca et l’obtention de mon Baccalauréat Mathélem en 1958, je suis parti en Italie pour faire architecture à  la Faculté Polytechnique de Turin de laquelle où j’ai été diplômé en 1963 avec la ferme intention de revenir au Maroc une fois le diplôme obtenu. Une fois rentré, j’ai ouvert un cabinet à Casablanca avec Livio Pistolesi puis je me suis associé en 1964, dans une agence à Agadir, avec Alain le Gaster venu pour la reconstruction.

A+E // Où avez-vous débuté votre carrière d’architecte ?

R.M // Mes premières armes je les ai faites à Agadir. Dans le cabinet, j’avais 3 projectrices allemandes qui dessinaient avec un souci singulier du détail. Ce sont elles  qui m’ont données le virus et le goût du détail au niveau de la planche à dessin. A mon niveau, je me perfectionnais dans le suivi des chantiers. Par la suite j’ai rencontré d’excellents entrepreneurs  comme Chisari ou  Messina, des staffeurs formidables comme  Guidéra ou Italiano, des menuisiers comme  Tormina ou Fellah, des ferronniers comme Garuzzo… Un jour où je sautillais sur un plancher pour vérifier si le granito ne sonnait pas creux, un entrepreneur, Haj Brahim, m’a dit : « Vous êtes venus pour vérifier ou pour faire des claquettes ? »  

A+E // Donc se sont les artisans qui vous ont formé ?

R.M // Le chantier et  les artisans, c’est la vraie école.  Tous mes projets ont été accompagnés de très nombreux  détails que je donnais aux entrepreneurs pour l’exécution et au maitre d’ouvrage pour son dossier. Mes détails d’exécutions se sont retrouvés un peu partout chez les promoteurs immobiliers qui les utilisaient pour faire des immeubles confiés à d’autres architectes. Une fois que je passais  devant un chantier, en cours de finition, j’ai vu le propriétaire, un ancien client à moi, qui était devant l’immeuble. Je m’arrête devant lui et je lui dis «  que vous ne veniez pas chez moi, c’est votre droit, mais que vous reproduisiez à l’identique ce que je fais ce n’est pas normal. Au moins variez un peu !». 

A+E // On peut dire que vous êtes derrière un style particulier ?

R.M // Je ne l’ai pas  fait exprès.  Mes premiers clients m’ont demandé de faire des maisons de type provençal tout en voulant y inclure la tradition marocaine. Et je pense qu’un architecte doit répondre aux besoins et désidératas de ses clients. Les nombreuses villas et immeubles que j’ai conçus ont plu dès le départ. Puis de maison en maison et d’immeuble en immeuble, je suis resté enfermé dans ce style qu’on appelle aujourd’hui le « style Moretti ». Depuis beaucoup de clients demandent à leurs architectes de leur faire une maison dans mon style.

A+E // Et la retraite dans tout cela ?

R.M // Je range mes dossiers, je fais le bilan de ma carrière et je joue au golf.

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