Vittorio Gregotti – Histoire d’une rencontre

Emporté par le Covid 19 à Milan, Vittorio Gregotti nous a quitté brutalement le 15 mars 2020. Son épouse Marina, hospitalisée également en a réchappé miraculeusement. Il s’était associé à Sâd Benkirane, architecte installé à Rabat pour la construction des stades
de Marrakech et d’Agadir. De là est née une complicité dont Sâd Benkirane nous retrace ici, en exclusivité les grands moments.


Depuis plus de 20 ans j’ai entretenu des relations professionnelles suivies avec Vittorio Gregotti, notamment à l’occasion de la réalisation des grands stades de Marrakech et d’Agadir.

Bien avant de connaître l’homme personnellement, alors jeune étudiant en architecture, j’avais participé au sein d’un groupe d’écoles au concours pour l’Université de Calabre en Italie, compétition qu’il avait remportée. La réponse qu’il avait donnée révélait la justesse de l’insertion de son projet dans le milieu naturel perçu dans sa dimension territoriale, historique et culturelle, approche qui se retrouve dans tous ses autres projets.

Ainsi, j’ai découvert Vittorio Gregotti l’architecte certes mais aussi l’urbaniste, l’enseignant, le mémorialiste, le critique, l’historiographe, le moraliste et l’intellectuel engagé qui opérait dans le champ de l’architecture moderne.

Sâd & Vittorio 2005 Marrakech

En 1999, le Maroc lançait les concours d’architecture pour la construction des stades. Je décidais d’y participer avec enthousiasme. Chaque candidat devait répondre simultanément sur 3 sites différents dans un délai de 2 mois. Me rendant à l’évidence que je ne disposais pas de la force de frappe pour y faire face et partageant une même vision de l’architecture, c’est tout naturellement que je me suis rapproché de Vittorio Gregotti. Après quelques échanges, nous avons décidé très vite de faire équipe commune.

Stade de Marrakech

Nous avons été désignés à concourir pour les stades de Casablanca, Marrakech et Agadir. Les projets que nous avons rendus furent couronnés de succès et avons, ainsi, été lauréats pour les stades de Marrakech et Agadir et classés 2ème pour celui de Casablanca.

Pour chacun de ces 3 projets, nous avons cherché avant tout à en reconnaitre le contexte, mettant en évidence à chaque fois la dimension territoriale, géographique, culturelle et historique, prise comme point d’ancrage de développement de leur concept.

Croquis – stade de Marrakech

Menés depuis l’Agence Sâd Benkirane à Rabat, les études et suivis de réalisations des Stades de Marrakech et d’Agadir ont duré plus de 13 ans avec le support de l’Agence milanaise Gregotti  Associati.  Une période riche de partages et d’échanges intenses de part et d’autre.

L’engagement de Vittorio Gregotti depuis les années 50 est celui d’un intellectuel opérant dans l’architecture. Très tôt, il s’est écarté des mouvements moderniste et universaliste, prônant la vision d’une architecture intimement appropriée au lieu. Sa vision de l’architecture ne restait pas théorique mais se retrouvait concrétisée dans tous ses projets.

La trajectoire de Vittorio Gregotti définit les axes d’une pratique architecturale moderne qui reste ouverte sur les autres disciplines.

 Architecte certes, il a été aussi professeur dans les écoles d’architecture de Venise, Palerme et Milan où il a formé des générations d’architectes et il arrivait aux plus talentueux de se retrouver dans son agence.

Ecrivain infatigable, il réservait chaque matin deux heures à cet exercice avant de rejoindre son agence au rez-de-chaussée de son domicile milanais, pour plonger passionnément dans l’architecture. Il disait souvent qu’il craignait ne pas avoir assez de temps pour écrire tout ce qu’il avait à dire.

Ces cinq dernières années, il avait arrêté quasiment toute activité professionnelle, se réservant exclusivement à l’écriture. Je l’ai vu pour la dernière fois chez lui à Milan le 20 Avril 2018 et, depuis, avons continué à nous appeler régulièrement. 

Vittorio Gregotti laisse derrière lui une bibliographie prolifique inestimable et des réalisations marquantes en architecture que je ne citerai pas, la liste étant trop longue.

Avec son associé, Augusto Cagnardi, il s’est consacré aussi à l’urbanisme et aux aménagements urbains dans lesquels on retrouve cette marque de fabrique, cette préoccupation permanente qui est celle d’insérer le projet dans son territoire.

Vittorio Gregotti est parti mais il reste parmi nous à travers ses réalisations, ses écrits et ses idées qui constituent une source d’inspiration pour tout étudiant en architecture et aux jeunes architectes que j’invite à en prendre connaissance.

Je saisis cette occasion pour rendre hommage à mon grand ami Vittorio et présenter mes condoléances à son épouse Marina, à sa famille, à ses associés Augusto Cagnardi et Michele Reginaldi ainsi qu’à l’ensemble de ses architectes partenaires et collaborateurs.

Paix à son âme.

 A Rabat le 25 avril 2020, Sâd Benkirane

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