Pourquoi j’ai fait archi ? Noureddine Komiha

Architecte diplômé de l’Ecole Spéciale d’Architecture de Paris en 1979, Noureddine Komiha crée, en association avec Wafaa Diouri Ayad, leur propre structure à Casablanca en 1982. Avec une approche qui prône un concept intellectuel original, inspiré d’une philosophie dont le credo est le développement durable et le respect de l’habitant, ils réalisent ensemble une panoplie de projets phares dans le pays.

Avec plus de 40 ans d’expérience, et de réalisations touchant à divers domaines, Noureddine Komiha livre à travers cette interview, le tracé de son parcours, un aperçu de ses visions, et de précieux conseils aux architectes de demain.


A+E // Présentez-vous-en quelques mots et parlez-nous brièvement de votre parcours professionnel

Noureddine Komiha : « Je suis Casablancais, j’ai passé mon bac au Lycée Lyautey. Après six années passées à l’Ecole Spéciale d’Architecture de Paris au sein de l’atelier Hervé Baley à Paris, j’ai été diplômé en 1979.

Le credo de ma pratique professionnelle a toujours été d’induire le bien être de mes clients dans mon œuvre et d’optimiser l’ouvrage. La conception d’une villa, d’un immeuble collectif, ou d’un équipement public procèdent toujours des mêmes attentions au niveau de la fonctionnalité et des ambiances d’espace.

Au cours de mes quarante années de pratique professionnelle, j’ai conçu et réalisé des centaines de projets dans tout le Maroc. Parmi eux, il y en a que j’affectionne plus particulièrement, comme la Bibliothèque de la Fondation Orient Occident à Rabat, le Lycée d’Excellence de Ben Guerir, le Siège d’Alcatel à Rabat, l’ensemble résidentiel El Fath à Youssoufia ou l’Ecole Guy de Maupassant à Casablanca. Ceci, parce que le processus de production et le résultat final était en cohérence avec mes attentes.

Parallèlement j’ai eu une vie associative assez dense, avec mon élection au Conseil National en 1982 et au Conseil Régional de Casablanca en 1985. J’ai aussi participé à la vie culturelle de la cité en organisant à Bab Rouah, l’exposition Antonio Gaudi en 1989 et celle de Frank Llyod Wright en 1993, ainsi que l’exposition de l’architecture marocaine au Pavillon de l’Arsenal à Paris en l’an 2000.     

Par ailleurs j’ai été membre fondateur de la revue Maisons du Maroc et nous avons mis sur pied et organisé deux éditions du Grand Prix d’architecture du Maroc en 1998 et en 2000. »

A+E // Quelle est votre définition du métier d’architecte ?

N.K : « Le métier d’architecte est la synchronisation et l’harmonisation de plusieurs savoirs faire et savoirs être : rêveur et inventeur, commercial et financier, technicien et géomètre, et enfin artisan et chef d’orchestre du chantier.

Le métier d’architecte : c’est de l’intuition, de la résilience, et de la patience. »

A+E // Quel a été votre motivation pour entreprendre des études d’architecture ?

N.K : « J’ai toujours eu une propension à la rêverie active, à la création de mondes imaginaires que j’ai, dès l’âge de 10 ans, exprimé sur papier sous forme de bandes dessinées. Mon enfance a été marquée par plusieurs déménagements, et j’ai toujours été sensible aux maisons que j’ai habitées avec lesquelles j’entretenais un lien particulier et qui me procuraient des émotions différentes. Rajouté à cela mon gout pour les sciences exactes, mathématiques, physique-chimie, je me suis orienté naturellement et sans hésitation vers des études d’architecture. »

A+E // Pensez-vous avoir fait le bon choix, ou auriez-vous préféré exercer un autre métier ?

N.K : « Je suis architecte dans l’âme, je me suis construit en construisant pour les autres. Si j’avais exercé un autre métier, je l’aurais fait avec la même rigueur, le même humanisme et le même enthousiasme. »

A+E // Quel autre métier auriez-vous aimé exercer ?

N.K : « J’aurais pu être un professionnel de la bande dessinée ou du dessin animé. A l’âge de 15 ans j’avais réalisé avec un ami, un premier dessin animé dont le scénario se déroulait au Maroc et que je comptais proposer à un producteur. A la même époque je collaborai avec plusieurs journaux et fanzines marocains. Arrivé à Paris j’ai beaucoup fréquenté le monde de la bande dessinée professionnelle mais pour me concentrer ensuite sur mes études d’architecture. »   

A+E // Quels conseils pouvez-vous donner aux jeunes futur(e)s architectes ?

N.K : « C’est en forgeant qu’on devient forgeron … l’architecture est un métier qui a les pieds dans la réalité et la tête dans les étoiles.

Il faut développer et enrichir son capital créatif en lisant, en voyageant, en écoutant de la musique et en même temps développer, comme un sportif de haut niveau, ses capacités techniques, d’expression, de précision et d’endurance.

A+E // Qu’avez-vous à dire aux jeunes architectes diplômés à l’étranger qui hésitent à rentrer exercer au Maroc ?

N.K : « On devient architecte le premier jour où l’on rentre à l’école d’architecture et tout au long des études, des stages, des premières expériences à l’étranger ou au Maroc, c’est notre pouvoir de création qui s’affirme. On est en pleine possession de nos moyens vers l’âge de 60 ans (dixit Frank LLyod Wright)

L’architecture est un métier universel mais dont les pratiques diffèrent suivant les géographies et les sociétés. Tout est bon pour enrichir la capacité de créer mais il est nécessaire de venir construire sur sa terre natale, car nous avons tous un lien particulier avec elle qui devrait nous inspirer.

L’architecte n’est pas un styliste et l’architecture n’est pas un bien consommable, soumis aux lois circonstancielles de la mode ou de l’offre et de la demande. L’architecture est un art éternel qui demande du sacrifice, une très haute idée de la beauté et beaucoup d’amour pour son prochain. »

A+E // Quel changement majeur pensez-vous qu’il serait nécessaire de faire dans le domaine de l’architecture au Maroc ?

N.K : « Revoir l’attitude des architectes qui conçoivent nos plans d’aménagement comme des lotissements géants avec des « zonages » et les amener à créer de vraies villes, dans un esprit responsable et de développement durable. Nous vivons sous l’emprise de ces plans d’aménagement, conçus dans l’urgence, qui hypothèquent le présent et l’avenir de nos villes. Ces plans d’aménagement devraient être mieux concertés en mettant les citoyens comme sujets et objets de toutes nos attentions. Notre pays devrait être exorcisé de la malédiction du « R+2 » qui s’est métastasée sur tout le territoire. La bonne architecture suivra … »


Dans un contexte plus décontracté, nous avons posé quelques questions spontannées à l’architecte :

A+E // Le métier d’architecte en 1 mot ?

N.K : « Horlogerie »

A+E // Le métier d’architecte en 1 proverbe ou citation ?

N.K : « L’architecte est le sculpteur du vide dans lequel on vit. »

A+E // Si le métier d’architecte était une personne ou un personnage ?

N.K : « Eupalynos, de Paul Valery, qui voulait construire des maisons de lumière pour que les hommes vivent comme des dieux. »

A+E // Le métier d’architecte en 1 poème ?

N.K : « Le Cancre de Jacques Prévert. »

A+E // Au final être architecte c’est ?

 N.K : « Aimer. »


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