Pourtant à l’origine volontairement pratiqué dans des endroits isolés, le land art s’invite désormais en ville. Retour sur un art contemporain qui a su se faire une place dans notre quotidien.
Le Land Art, ou art paysager, appartient au courant contemporain et émerge aux Etats Unis, en 1968, plus précisément à New-York. Il consiste à utiliser des éléments naturels (bois, roches, eau, sable…) afin d’en créer une œuvre qui s’insère dans le paysage. Généralement, les créations sont éphémères et sont progressivement détruites par les aléas de l’environnement lui-même. C’est pourquoi les artistes ont pour habitude de l’immortaliser via la photographie, qui peut être exposée en continu afin d’en garder une trace. L’exposition EarthWork est la première à montrer ce mouvement, que l’on doit à l’artiste Robert Smithson qui a publié la même année son essai The Sedimentation of the Mind : Earth Projects. En parallèle, les artistes Christo et Jeanne-Claude puis Michael Heizer s’imposent également comme figures montantes du courant, avec leurs productions hors norme : le land art devient une tendance à part entière dans le milieu artistique. Dès les débuts, les revendications s’ancrent dans le mouvement écologiste qui émerge en parallèle aux Etats-Unis.
Lors de l’exposition Earthwork, le matériau mobilisé est alors la terre, et prend place notamment dans les déserts du Sud Ouest des Etats-Unis. Les créations se matérialisent comme des chantiers, de par leur aspect colossal et l’effort manuel qu’elles requièrent.
Malgré une revendication écologique, certaines œuvres semblent aujourd’hui poser question, et notamment celles de Michael Heizer. En effet, bien qu’utilisant des matériaux d’origine naturelle qui s’insèrent dans un paysage, n’est ce pas plutôt une ôde à l’esthétique, la technologie et même la maîtrise de l’homme sur l’environnement ?
LE PARADIGME DE L’ESTHETIQUE ET DE LA TECHNOLOGIE, L’EXEMPLE DE MICHAEL HEIZER
En plein désert du Nevada, depuis maintenant cinquante ans, Michael Heizer travaille à la réalisation de son projet, City, qui prend la forme d’une sculpture monumentale qui s’inspire de l’architecture précolombienne. Purement interventionniste sur l’environnement, l’artiste mobilise des moyens industriels afin de mener son projet à bout. En 2004, le gouvernement, alors dirigé par George W. Bush, programme la construction d’une voie ferrée afin de longer City, car non loin se situe le site de dépôt de déchets nucléaires de la région.
Dans la démarche de l’artiste, on comprend l’intention de créer une œuvre censée lui survivre au-delà de la catastrophe : Michael Heizer appréhende l’ère nucléaire qu’il perçoit alors comme une menace globale pour la planète, et est persuadé de la fin de notre civilisation. Il achète alors plus de 800 hectares dans la Garden Valley, et s’y installe, d’abord dans une caravane, puis un ranch qu’il se fait construire. La Vallée devient son atelier à part entière, car bien que d’abord temporaire, le projet devient son mode de vie, car en constante évolution.
Pour Michael Heizer, City, ce n’est pas du paysagisme (l’œuvre est à part du cadre environnant désertique), et le titre paraît alors paradoxal, pour l’artiste qui a pour ce projet quitté la ville, New-York, qui pour lui était en train de “dégénérer”. City est volontairement éloignée de l’espace urbain, et isolée du paysage, dans le but de créer une réelle “illusion colossale ».
Finalement, ce projet illustre les ambivalences du sublime technologique : défendu notamment par Ralph Emerson, il est censé représenter un idéal démocratique, d’une esthétique évidente, généré par la maîtrise des force de la nature censée créer une admiration. À travers d’abord les essais nucléaires de 1951 à 1962 puis le projet City, le Nevada est le théâtre d’une culture atomique, résolument destructrice et sans bornes.
UN TOURNANT ENVIRONNEMENTAL ET SOCIAL
On peut expliquer cette tendance par l’existence parallèle de l’Art urbain, qui se caractérise généralement par des graffitis en ville. Les principes sont similaires au Land Art, mais appliqués à la ville : mobiliser les ressources environnantes, et faire du grandiose. On assiste aujourd’hui de plus en plus à une convergence entre les deux disciplines, avec du Land Art de plus en plus à proximité des villes, et des graffitis porteurs d’un message environnemental. On peut par exemple citer l’artiste Philippe Echaroux, qui avec l’association Aquaverde porte un message de défense de l’environnement, via des projections de visages sur des arbres qui indéniablement rappelle une esthétique “Street”, sans trace artificielle permanente, en concordance avec les préceptes du Land Art. En 2019, l’œuvre de Saype rappelle un message fort à l’occasion de la journée mondiale des réfugiés à travers une fresque de près de 600 mètres de long et 25 mètres de large. On peut y voir tracé à la peinture biodégradable (mélange de farine, eau, huile de lin ou charbon) un graphisme représentant des mains liées les unes aux autres, gage de solidarité, dans cet espace vert que les touristes aiment fréquenter, et en soutien à une association de sauvetage de migrants en haute mer.
Les projets street art ont également évolué : plus colossaux, visuels, la signature, marque de fabrique des débuts, n’est désormais plus que secondaire dans l’œuvre. Au Louvre par exemple, l’œuvre participante de JR , à l’occasion des trente ans de la Pyramide, a mobilisé près de 400 participants afin de réaliser un collage gigantesque révélant les secrets du monument. Via un processus d’anamorphose et de collage de bandes de papier, les motifs révèlent les fondations de la Pyramide, afin de valoriser l’œuvre de Ieoh Ming Pei. Une caméra a été installée aux derniers étages du musée, non accessible aux visiteurs, afin de retranscrire l’entièreté de l’effet visuel produit, invisible depuis le sol. En 2016, le même artiste avait totalement fait disparaître la pyramide, toujours dans le but de permettre aux visiteurs de se réapproprier le monument lors de leur visite.
LE LAND ART URBAIN, RESOLUMENT ECOLOGIQUE
Le Land Art converge lui aussi vers les tendances de l’art urbain : se rapprochant des zones peuplées, il a pour but de sensibiliser les urbains à de grandes thématiques. La sixième édition de Lausanne-Jardins, notamment, propose d’adopter un regard différent sur la ville, avec comme thème la terre, rappelant ainsi la toute première exposition de Land Art EarthWork. Sous forme de concours, l’évènement a pour but de faire appel à des paysagistes, architectes, concepteurs, artistes, afin de mettre en place une vingtaine de jardins destinés à s’insérer dans l’espace urbain en traversant la ville d’Ouest en Est. Véritable “Laboratoire en ville grandeur nature”, le projet comporte des jardins, mais également des installations, sculptures, faisant honneur aux ressources fondamentales comme la terre mais aussi l’eau à l’aune des bouleversements climatiques.
Parmi les œuvres présentées, on peut citer la balade du Parc Jean-Jacques Mercier, qui se présente comme un parc-jardin symétrique sur plusieurs paliers, avec une machine à brume qui entre en interaction avec une structure métallique : un attrape brouillard. Ces jeux entre structures permettent de mettre en valeur les éléments fondateurs du Land rt et de les percevoir d’une manière plus sensible ; on est loin du brutalisme technologique des années 70. Le cycle de l’eau est abordé via ces brumes qui tempèrent les îlots de chaleur. Les modes de récupération en ruissellement, les attrapes-brouillards ainsi que les machines à brume nous questionnent sur les différentes formes qu’elle peut prendre en la rendant ludique et intrigante. Enfin, une place de choix est donnée aux arbres, qui murmurent aux oreilles des visiteurs les noms des arbres disparus et ceux présents dans le jardin.
On peut identifier le point de liaison entre ces deux arts d’abord antinomiques puis complémentaires avec, en 1974, le projet Cadillac Ranch du collectif Ant Farm, où l’œuvre était aussi mise à disposition des graphistes. Elle prenait la forme de voitures implantées à la verticale dans le sol, afin de nous questionner sur notre impact sur le paysage .
Finalement, ces deux mouvements nous font réfléchir sur notre place au sein de l’environnement qui nous entoure. Depuis le Nevada jusqu’à Lausanne, on aperçoit le reflet de nos préoccupations et de notre perception de nous même dans notre habitat.