Marocain du monde, sourd et architecte de talent

EL MEHDI BELYASMINE, ARCHITECTE

C’est par l’aimable entremise de Marc Gossé, architecte et professeur honoraire à la Faculté d’Architecture La Cambre-Horta, que j’ai eu l’occasion de faire la connaissance d’un architecte marocain talentueux :  El Mehdi Belyasmine. Sourd à la naissance, il n’a pas hésité à surmonter son handicap et devenir un professionnel à la carrière prometteuse.


Natif d’El Jadida, de père architecte, El Mehdi a très tôt développé en lui l’ingrédient premier d’un futur artiste : la sensibilité. C’est ainsi qu’au contact de l’environnement personnel et professionnel de son géniteur et au moyen d’un sens exacerbé, celui que procure la vue, il découvre la passion d’un métier qui sera le sien.

Après un brillant cursus qui le mènera de la Belgique au Mexique en passant par la Suisse il entame très jeune une carrière internationale avec des projets en France, au Maroc et dans son pays d’adoption actuel le Mexique.

Dans cette interview, il nous livre son parcours et ses ambitions.


A+E // Pourquoi avoir choisi de faire des études d’architecture ?

EL MEHDI BELYASMINE // « Très jeune déjà, des magazines et revues d’architecture jonchaient nos étagères, des tubes porte plan emplissaient quelques placards et des porte-mines côtoyaient nos affaires. Ainsi commença mon immersion dans l’univers fascinant et inspirant de l’architecte (Feu) mon père Ssi Mohammed Belyasmine. Vu comme ça, je pense que c’est déjà à ces moments-là que ma voie et ma passion pour l’architecture se dessinaient. Il faut aussi dire que la surdité ne laisse place qu’aux arts visuels en ce qui concerne la stimulation de notre fibre artistique ou de nos émotions. L’architecture et les arts visuels étaient pour moi ce que la musique représentait pour d’autres, c’est-à-dire, le rêve, l’évasion, les envies d’ailleurs et les émotions. » 

A+E // Comment fait-on pour suivre les cours théoriques et les présentations des projets d’architecture quand on est à la fois sourd et muet ?

E.M.B // « Je me permets d’apporter une rectification sur un point. Dans mon cas, la surdité n’est pas synonyme d’être muet. Je communique oralement avec mes amis, collègues, anciens camarades de classe et je pratique depuis toujours la lecture labiale. J’ai d’ailleurs suivi un cursus normal bien avant mes études en Belgique et en Suisse. Comprendre ce que je dis nécessite un peu d’adaptation au début. Rien de plus. C’est comme ça que j’ai fait toutes mes présentations orales : de l’école maternelle jusqu’à aujourd’hui. J’ai aussi animé quelques workshops à Mexico City sur des sujets d’architecture. En ce qui concerne le volet du suivi des cours théoriques, je n’avais d’autre choix que de demander à quelques camarades proches leurs notes. Dans tous les cas, j’ai dû m’adapter et trouver mes propres solutions. De l’apprentissage de la parole en passant par la lecture labiale et le travail avec mes camarades à la présentation du mémoire, l’exercice n’a jamais été facile. Force est de constater que le monde n’est pas imaginé et/ou adapté à chacun d’entre nous. Bien heureusement, il y a des professeurs qui m’ont toujours soutenu, qui ont une place particulière dans mon cœur. »

A+E // Vous avez brillamment réussi votre cursus d’architecte à la fameuse faculté La Cambre Horta à Bruxelles, puis vous êtes parti au Mexique. Qu’est ce qui a justifié ce choix ?

E.M.B // « Le Mexique. Pour des envies d’ailleurs et de découverte. Pour l’amour de l’architecture organique. Pour la passion de l’urbanisme durable. Pour la recherche d’une architecture avancée.  Parce que l’opportunité de travailler et d’apprendre au sein d’un cabinet mexicain de renom (Fernando Romero Enterprise/FR-EE) m’a été possible. Un choix structurant dans mon parcours, venant consolider une première expérience d’exception à Doha, Qatar. Une opportunité qui a étendu mes frontières architecturales au-delà de ce que mon père et La Cambre Horta m’avaient enseigné. Je suis heureux d’avoir la chance de travailler sur des projets où les défis technologiques et artistiques me passionnent sans cesse, et reconnaissant de pouvoir travailler avec des talents de l’architecture mexicaine. Cette chance-là, j’en suis conscient, je la saisis et la fait perdurer. »

A+E // Pensez-vous retourner travailler au Maroc ?

E.M.B //« Retourner travailler au Maroc. Ce dilemme bien connu est celui de tous les marocains résidant à l’étranger. La porte du Maroc m’a toujours été ouverte, et la mienne aussi. Je travaille actuellement sur deux projets au Maroc, trois projets au Mexique parmi lesquels mon premier projet de très grande envergure dans le secteur touristique, et quelques projets en France. Tout ça pour dire, que de plus en plus, il est possible de travailler de n’importe où dans le monde en se déplaçant et collaborant avec des architectes locaux. Si le contexte et les conditions me le permettent, un retour au Maroc serait une réelle possibilité. D’ailleurs, j’ai travaillé et travaille toujours sur des concepts architecturaux à réaliser au Maroc (Dar Doukkala à El Jadida, Botanical Garden de Ben Guérir, la Medinan House pour la région de Doukkala, l’Arabi Café pour la région de Marrakech…). La preuve que le Maroc coule toujours dans mes veines. Mon rêve ultime serait de pouvoir concrétiser des œuvres architecturales de renom pour mon pays. » 


ARTICLE PAR Propos recueillis par Fouad Akalay
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