Arrivé de Centre-Afrique, c’est avec son nouveau collègue, Jean- Yves Moine, qu’Olivier Bombasaro découvre pour la première fois l’atmosphère captivante et intrigante de la médina de Fès. Surpris par les ruelles de la médina, Olivier n’a pourtant pas eu de mal à se laisser guider par les cris des marchands, bousculé par la foule aux abords des souks. Enivré des mille senteurs d’épices, il plongeait dans un univers palpitant qu’il a voulu partager avec ses élèves. C’est donc autour d’un bon thé que cette belle aventure fut préparée avec son collègue Jean-Yves Moine.
Tous deux enseignants à l’école française de Fès « La Fontaine », Olivier suggère à Jean-Yves Moine, d’inscrire dans le programme pédagogique de ses élèves de CM2 une visite en médina. Inspirés par son histoire passionnante, les deux instituteurs engagés voulaient faire découvrir aux enfants un lieu inconnu pour la plupart d’entre eux. Résidant dans les beaux quartiers, à l’extérieur de la ville (Dar Debibagh), les élèves semblaient redouter cet endroit synonyme pour eux de saleté et pauvreté. Très vite, les deux initiateurs ont présenté la méthode pédagogique à la direction de l’école et ont travaillé pendant plus de six mois avec les enfants sur l’écriture et l’illustration d’un ouvrage sur la vieille cité. L’approche et la réalisation du projet ont été réfléchies avec les élèves. La visite de trois circuits, les travaux de photographie, de dessin et de texte réalisés, firent germer l’idée de créer un carnet de voyage. Ce sont les enfants qui l’ont proposé spontanément. Pour eux, c’était l’accomplissement naturel de leur travail, l’aboutissement de leur voyage.
Professeurs et élèves de deux classes de CM2 se sont donc rendus, une après-midi de novembre 2007, pour leur première visite en médina. S’aidant de l’excellent guide de Mohamed Berrada et après une reconnaissance des lieux, Jean-Yves Moine n’a pas eu de mal à programmer l’itinéraire des trois circuits.
Son choix s’est basé sur l’infrastructure, la population et le caractère différents.
La première visite de découverte des lieux et de la population active a permis de s’imprégner de l’ambiance des souks. Tout de suite, le contact s’est établi avec les commerçants et les artisans. Les enfants n’avaient pas froid aux yeux et ont filmé, photographié et interviewé avec véhémence leurs interlocuteurs. Les explorateurs en herbe ont aussi découvert des palais et des espaces privés souvent inaccessibles au public d’adultes. Ils ont été reçus en grande pompe dans de grandes demeures et ont appris à cuisiner des plats traditionnels dans d’autres. Cette visite a été très appréciée des enfants, car ils ont pu évoquer le souvenir de la vie quotidienne que leurs grands-parents racontaient.
Après chaque arrêt, l’exercice consistait à retranscrire ses émotions. Les enfants se sont rendu compte alors qu’un deuxième tour était nécessaire pour compléter leurs interviews souvent mal enregistrées, ou pour poser des questions plus précises pour améliorer leur récit ou reprendre des photos de meilleure qualité. Les plus motivés se sont rendus à nouveau sur place.
Le travail de consignation fut de longue haleine et a obligé les enfants à une certaine discipline pour présenter un travail de qualité. D’après les professeurs, les plus réticents ont fini par trouver une nouvelle motivation à apprendre le français et son application en travaux pratiques. Plus de 500 écrits (rédactions, poèmes, contes…) et diverses activités ont été réalisés tout au long des six mois. Différentes techniques artisanales ont été reproduites à l’école. Les enfants étaient en immersion totale.
Au centre de leur préoccupation, le projet animait toutes les autres matières.
Comme pour se justifier, Jean-Yves précise que le programme en primaire permet une certaine flexibilité dans les horaires et que l’ampleur de la tâche n’a pas perturbé le reste du programme. Car, vous pouvez l’imaginer, il a fallu concevoir le carnet de voyage, expliquer les différentes étapes au niveau graphique, puis au niveau de l’impression.
Ensuite, sélectionner les textes, choisir les photos, les autres visuels et illustrations réalisées. Un illustrateur originaire de Centre-Afrique, vint également compéter leur travail, Didier Kassai. Durant deux mois à Fès et au Maroc qu’il découvrait, il a travaillé avec les enfants et a erré dans les ruelles pour s’imprégner de son ambiance
si particulière et dessiner.
Il a fallu trouver une mascotte au projet, l’âne Balek. Ce dernier sera le fil conducteur des trois itinéraires et des projets réalisés l’année suivante. Un choix encore une fois spontané de la part des enfants qui, lors de leurs visites, ont très vite compris que cet animal très présent de tout temps en médina, était l’emblème économique des commerçants et artisans.
Un projet pédagogique de cette qualité a toutes sortes de retombées positives qu’il serait bon de généraliser à l’enseignement primaire systématiquement. La découverte du cadre de vie faite dans les règles de l’art peut inciter au respect de son environnement qu’il soit urbain ou rural. L’importance de telle visite a été ressentie par les élèves avec l’émerveillement dont ils sont capables devant leur témoignage illustré des photos de commerçants qu’ils ont côtoyés. Le carnet imprimé a été la consécration gratifiante de leur travail avec la complicité des parents qui nous ont permis d’ouvrir des portes.
En plus de la portée pédagogique et culturelle, les élèves ont appris les techniques de base de l’imprimerie grâce à une visite guidée organisée. Le choix du papier, de son grammage, la mise en page, la sélection des dessins et des écrits les ont trempés dans l’univers de l’infographie et des arts graphiques. Du coup, la télé et la Playstation sont passées à la trappe au profit de longues soirées à recopier les textes jusqu’à ce qu’ils soient calligraphiés, prêts pour l’impression. Une fois la maquette soumise à l’imprimeur, ce n’était pas fini. « Nous pensions qu’il suffisait de présenter des planches PDF, or, il y avait encore tout un travail à effectuer de leur côté avant de pouvoir imprimer.
Résultat, nous avons eu trois semaines de retard », déplore le professeur.
Une fois imprimés, 1000 exemplaires ont été distribués aux commerçants, aux élèves, au CRT (Centre régional du tourisme de Fès), à certaines écoles de Casablanca pour faire découvrir aux enfants de maternelle l’histoire de Fès, et quelques exemplaires ont été vendus à des particuliers dans les riads de la médina. Et enfin, les élèves l’ont exposé à la Foire du livre de Fès, où ils ont organisé des ateliers d’écriture avec les enfants qu’ils avaient invités des autres écoles de la région. Cette initiative a dépassé les objectifs pédagogiques. Car sans avoir de fins commerciales, il fallait rembourser l’argent emprunté dans la caisse de l’école. L’argent récolté de la vente des livres est retourné en partie pour reconduire l’expérience l’année suivante en publiant une nouvelle histoire. Les nouveaux élèves d’Olivier ont fait « Balek aux Jeux olympiques » sous forme de BD en inversant la démarche pédagogique. Ils ont construit l’histoire sur la base des illustrations faites par Didier Kassai. Quant à la classe de Jean-Yves, ils ont raconté l’histoire de la descendance de la famille de Balek, recueil de onze récits en noir et blanc.
Cette initiative créa l’engouement de toute l’école et d’autres sections ont présenté un livre de jeux et une pièce de théâtre. Malgré le désintérêt certain de la direction de l’école La Fontaine, les responsables de cette magnifique aventure pédagogique ne baissent pas les bras. Ils ont décidé de continuer le programme et proposent « Balek chez les Pygmées ». Car si leurs élèves n’ont plus de réticences à aller en médina, ils ont aussi compris l’écart social entre eux et les enfants compatriotes, travaillant très jeunes et dans des conditions difficiles, qu’ils ont rencontrés.
Il est tout aussi important de les sensibiliser aux autres, afin qu’ils prennent conscience que la misère est aussi à l’extérieur de leur pays. Chapeaux bas, Messieurs les professeurs, vous nous donnez là une belle leçon !