La reconstruction vue par Houda Rouissi, une leçon d’humilité et de résilience

Alors que la reconstruction post-séisme menace d’effacer l’identité paysagère du Haut Atlas sous une couche uniforme de ciment, une voix s’élève. Celle de Houda Rouissi, architecte engagée, qui œuvre sans relâche pour préserver la singularité des territoires et replacer les habitants au cœur du projet architectural. Récit d’un engagement ancré, sensible et résolument humain.


UNE ENFANT D’AL HAOUZ

Diplômée de l’École d’architecture de Casablanca et formée à l’architecture du patrimoine à l’École de Chaillot à Paris, Houda Rouissi n’est pas une architecte comme les autres. Si elle a grandi à Casablanca, elle est originaire de la commune de Talat N’Yaaqoub, dans la province d’Al Haouz, un lieu qu’elle visitait régulièrement avec sa famille et auquel elle reste profondément attachée. Après le séisme, ce lien d’appartenance s’est transformé en engagement.

Ancienne directrice par intérim à l’Agences Régionales d’Exécution des Projets (AREP) Marrakech-Safi et fondatrice de l’agence Oblik Architectes, elle a très vite intégré les premières missions de diagnostic menées bénévolement, suite à l’appel de l’Ordre National des Architectes. Elle a ensuite répondu à l’appel d’offres d’Al Omrane, malgré une rémunération très faible et une organisation parfois incohérente : plusieurs architectes affectés à un seul douar, sans vision globale ni coordination. Beaucoup se sont retirés. Pas elle. Pour Houda, se désister, c’était céder à la politique de la chaise vide et rien ne garantissait que la personne après elle défendrait les mêmes convictions.

TINMEL, UNE MISSION QUI LUI TENAIT À CŒUR

Par hasard, elle est désignée pour intervenir à Tinmel, un douar historique qu’elle connaît intimement. Ce qui aurait pu n’être qu’un chantier devient alors une œuvre de reconquête culturelle et humaine. En tant qu’originaire du lieu, elle comprend les besoins des habitants, leur mode de vie, leur rapport à l’espace et à la matière.

Son approche repose sur trois piliers : le respect des traditions, la préservation des paysages, et le confort des habitants. Houda Rouissi refuse la standardisation. Pour elle, reconstruire en béton n’est pas une solution. Elle s’appuie donc sur les matériaux locaux (pisé, pierre, bois – akal, azrou, akchoud), tout en intégrant des techniques parasismiques réinterprétées, inspirées de savoir-faire oubliés : harpages aux angles, chaînages en bois, et armatures en géo-grille, assurant une ductilité indispensable en zone sismique.

CONVAINCRE PLUTÔT QU’IMPOSER

Le défi le plus délicat fut de convaincre les habitants d’utiliser des matériaux locaux. Les réticences étaient nombreuses. La phrase qui revenait le plus souvent, selon Houda : « C’est la terre qui nous a tués, pas question de reconstruire en terre ou en pierre. » Il fallait leur démontrer que ce n’était pas la matière le problème, mais bien la perte des savoir-faire.
L’intervention d’Oussama Moukmir, spécialiste de l’architecture en terre, a été déterminante. Houda a pu organiser des rencontres entre lui et les habitants, leur offrant formations, conseils, accompagnement et démonstrations pour qu’ils puissent reconstruire par eux-mêmes. Ensemble, ils ont expliqué les dosages, les gestes, la logique derrière chaque technique.

La crédibilité d’Oussama, déjà à l’œuvre à Marigha, a renforcé la confiance des habitants.
Peu à peu, Houda gagne leur adhésion. Sur 30 maisons, 15 familles ont accepté de reconstruire en matériaux locaux. Pour les autres, une alternative hybride est proposée : une structure en béton à l’intérieur, recouverte en BTC à l’extérieur, offrant à la fois une esthétique soignée et un confort thermique optimisé grâce à l’inertie du BTC.

UNE ARCHITECTURE AU SERVICE DE LA VIE

Le travail de Houda ne s’arrête pas à la maison. Grâce au soutien financier de l’AECID (Agence espagnole de coopération internationale pour le développement), obtenu par S.I.V. Afriquia Promoteur, l’un de ses clients engagés dans la cause, elle parvient, en partenariat avec l’association Turath, à étendre son action : harmonisation des façades (même celles dont elle n’est pas maître d’œuvre), complétion des réseaux d’assainissement et d’eau potable, études et financement pour une station d’épuration dédiée.

Pour les logements, elle conçoit des plans flexibles, adaptés à la réalité locale. Ses choix architecturaux : regroupement des pièces autour d’une centralité (cour intérieure ou patio), ouvertures tournées vers l’intérieur pour préserver l’intimité, et un noyau de 70–80 m² (limite imposée par les autorités), accompagné d’une annexe évolutive — étable, commerce, extension familiale ou chambre d’hôtes, dans un douar situé à proximité de la mosquée de Tinmel, patrimoine mondial potentiel de l’UNESCO.

À terme, elle envisage aussi des espaces publics : une place autour de la grande mosquée de Tinmel, arbres, ombrages, bancs, une placette autour de la petite mosquée du douar, qui servira d’oratoire… Des lieux pensés pour la vie collective, et non pour la seule urgence.

UNE ÉTHIQUE RARE

Ce qui frappe chez Houda Rouissi, c’est son désintéressement. Elle ne court ni après les prix ni après la reconnaissance. Elle communique peu, et ne cherche pas la gloire. Ce qui l’anime, c’est l’essentiel : l’humain et le site. À travers l’association Turath à Marrakech, elle agit également pour la préservation du patrimoine rural : moulins à eau, greniers collectifs, aazib… Des lieux de mémoire et de vie, pensés pour durer, loin des logiques d’urgence. En refusant de quitter le projet, en formant les habitants, en utilisant les pierres d’Ourika plutôt que d’importer du ciment, Houda Rouissi pose un acte de résistance, mais surtout de résilience. Elle rappelle que l’architecture peut être un geste politique, écologique et profondément humain.

UNE LEÇON D’ARCHITECTURE

Portrait de Houda Rouissi

Son travail, remarquable, a attiré l’attention des ambassadeurs d’Espagne et de l’Union européenne, qui ont demandé à visiter le site. Mais pour Houda, la véritable récompense est ailleurs : voir les habitants reconstruire dignement, en accord avec leurs traditions et leur environnement.

Pour elle, ces gens-là sont sa famille. Ils l’ont vue grandir, ils ont connu ses proches. Son engagement est donc aussi intime que collectif.

Après une journée avec Houda, on comprend ce qu’est la noblesse d’un métier trop souvent vidé de son sens.

Merci Houda, pour cette leçon silencieuse mais puissante sur la véritable essence de l’architecture, et l’importance de revenir aux sources pour mieux entendre ce que le site a à nous dire.


Par Malak Hdidou, étudiante en architecture et enfant d’Al Haouz.

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