Dans les entrelacs de l’Arsenale, là où l’histoire épouse l’avenir, le Maroc érige un manifeste de terre et d’intelligence collective. Pour la 19e Biennale internationale d’architecture de Venise, placée sous le thème « Intelligens. Natural. Artificial. Collective », le pavillon marocain, intitulé Materiae Palimpsest, réinvente l’art de bâtir comme un acte poétique, politique et profondément humain.
Conçue par le duo d’architectes El Mehdi Belyasmine et Khalil Morad El Ghilali, cette installation monumentale s’élève tel un rituel minéral : une pyramide creuse, plantée de 72 colonnes de terre crue et de chaux, assemblées dans une géométrie presque chorégraphique. Leurs hauteurs varient, comme les voix d’un chœur ancien qui raconterait les gestes oubliés et les savoirs en sursis.
Suspendus au-dessus du vide, plus de 2 400 outils d’artisans marocains forment un ciel dense, une constellation d’objets à la beauté brute, évoquant la grâce fractale du mouqarnas. C’est un firmament de labeur et de mémoire, où chaque marteau, chaque truelle, chaque fil d’aplomb devient un vestige sacré du bâti vernaculaire.
Mais ici, le passé ne se contente pas de flotter. Il dialogue. Des hologrammes d’artisans – l’un façonnant la terre, l’autre tissant le fil – surgissent comme des fantômes familiers, invités à la table du présent. L’architecture se fait alors murmure, récit chuchoté au creux d’une agora centrale, rythmée par les bruits d’un chantier invisible, les psalmodies de femmes rurales, et la voix lointaine du roi Hassan II, parlant d’« intelligence qui se dégage du sol ».
Récompensé à l’issue d’un concours national orchestré par les ministères de la Culture et de l’Urbanisme, Materiae Palimpsest défend une idée forte : que l’innovation ne peut naître qu’en s’enfonçant dans l’humus de la mémoire. El Mehdi Belyasmine, formé à l’ETH Zurich et à l’ULB La Cambre Horta, et Khalil Morad El Ghilali, enseignant à l’école nationale d’architecture de Marrakech et fondateur d’Atelier BE, unissent ici deux démarches complémentaires; l’une explorant le numérique, l’autre les écologies sensibles du vivant.
Un catalogue-manifeste accompagne le projet, convoquant artistes, historiens, bâtisseurs et penseurs du territoire. On y croise les noms d’Alia Bengana, Rabiaa Harrak, M’barek Bouhchichi ou encore Jean Dethier; autant de voix qui nourrissent cette matière palimpseste, faite de couches, de fragments et d’empreintes.
Au fond, ce pavillon n’est pas un lieu. C’est une question posée à l’architecture : que reste-t-il de nous dans ce que nous bâtissons ?





Pavillon du Maroc à la biennale de Venise – (c) Oualalou Tarik