Le 21 janvier 2009, le monde de l’architecture du Maroc a perdu une grande figure. Ce poète utilisait le béton sans concessions pour parfaire l’écriture moderne dont ses oeuvres sont les témoins perpétuels. Deux architectes qui l’ont connu ont tenu à lui rendre hommage par ces mots.
Lorsque j’ai connu Elie Azagury, il y a de cela cinq ou six ans, je n’étais intéressé que par ses projets des années 50 et 60, période glorieuse de l’architecture marocaine. Il était pour moi l’un des derniers représentants de ces pionniers qui avaient l’architecture à coeur et qui, quoi qu’on en dise, avaient donné ses lettres de noblesse à l’architecture marocaine du XXe siècle. Je compris rapidement, devant sa réticence à évoquer des projets tels que la villa Shulman ou le tribunal d’Agadir, qu’il se projetait avant tout dans le présent et que ses projets en cours comptaient encore plus pour lui.
Pour autant, je pense que les grands traits de son architecture sont restés fondamentalement les mêmes tout au long de sa carrière : la rigueur structurelle, la puissance plastique, l’authenticité des matériaux et cette touche de baroque qu’il affectionnait surtout ces dernières années. Une architecture moderne authentiquement marocaine à mon sens.
Collectionneur d’art contemporain, Azagury avait rencontré et connu de grands noms de l’art et de l’architecture : Neutra qui avait séjourné chez lui à Casablanca dans les années 60, les sculpteurs César et Armand qui passaient leurs vacances chez lui à Cabo, ou encore Le Corbusier et un certain Jorn Utzon, futur architecte de l’opéra de Sydney…
Même s’il ne le signifiait que très rarement, je sentais chez lui une pointe d’amertume due au manque de reconnaissance dont les architectes de sa génération faisaient l’objet. Il était intéressant de l’observer travailler. En général, tout ou presque était dit dans deux ou trois croquis : les lignes fortes du projet, une structure claire et soulignée et l’usage du nombre d’or qu’il affectionnait tant… Il répondait à ma méfiance vis-à-vis de cette règle quelque peu rigide en me disant que cela garantissait tout au moins des proportions correctes… Qu’il me soit permis de présenter mes plus sincères condoléances à sa famille. Espérons que son oeuvre, à l’instar de celles de Zevaco et des autres pionniers, ne soit pas reléguée aux oubliettes ou défigurée comme cela est malheureusement si souvent le cas.
Driss Kettani, architecte.