Depuis les années 80, Taoufik El Oufir ne cesse de traquer l’épurement de son geste architectural. Désireux de se consacrer qu’a la part créative de son métier, il obtient la certification de son agence pour bonne gestion. Il nous livre ici le rapport qu’il entretient avec la lumière dans sa conception d’architecte.
De même que l’alternance du jour et de la nuit ou la clarté changeante au fil des heures sont des conditions primordiales et pourtant largement inconscientes de notre perception du monde, la lumière modifie constamment l’expérience de l’architecture. Tout bâtiment n’existe en tant que tel et n’acquiert pleinement sa portée sociale et symbolique que par sa visibilité et par les relations optiques s’instaurant avec son contexte, qui s’infléchissent plus ou moins radicalement la nuit : c’est son statut de repère, son rôle par rapport aux modes de vie nocturnes qui s’en trouvent amoindris ou exaltés. La lumière sculpte l’enveloppe, modèle l’espace, façonne les transparences, accentue les profondeurs, module les équilibres entre intérieur et extérieur, accorde un surcroît de présence et déclenche l’émotion. Orchestrer ces jeux subtils requiert avant tout une interprétation profonde du lieu dans toutes ses dimensions naturelles et culturelles, grâce à l’appréhension de ses patrimoines d’histoire et de vie, à la prise en compte d’une multiplicité de paramètres, à une capacité d’écoute, de perméabilité aux choses et à une aptitude à leur transcription sensible.
Il s’agit de comprendre ce que le bâtiment doit et veut être, de saisir les aspirations du commanditaire et d’instaurer une connivence avec le maître d’œuvre, tout en conciliant d’innombrables contraintes liées aux particularités d’un site, aux normes et aux difficultés techniques, à la nécessité d’intégrer l’éclairage dans le bâti et ses réseaux en rendant invisibles les détails et, de plus en plus, aux exigences qu’imposent aujourd’hui les défis environnementaux et les préoccupations écologiques. Ce travail de maîtrise s’oriente différemment en fonction des programmes et des échelles : mettre en scène une architecture contemporaine ou un édifice ancien en révélant la puissance du monument, régler très précisément un éclairage muséographique, accompagner l’éphémère singularité d’un événement, assurer à des bureaux tout le confort propice au travail, favoriser la convivialité d’un lieu de rencontre et d’échange, améliorer l’aménité et l’urbanité d’un espace public, qualifier l’ambiance d’un jardin ou encore permettre plusieurs niveaux de lecture d’un paysage nocturne par l’articulation de toutes ses composantes. En faisant place, chaque fois, à la compagne indispensable de la lumière : l’ombre. La conscience des interactions entre lumière et architecture correspond, au Maroc, à une sensibilité et une culture séculaires, comme l’attestent les procédés de filtrage et de tramage des moucharabiehs, le raffinement des dentelures des façades, l’emploi des vitraux, les découpes des coupoles, l’omniprésence des lanternes ciselées… Amplement transposée dans la modernité, cette tradition s’est sans nul doute nourrie des qualités particulières de la lumière naturelle, nées d’une alchimie où jouent le climat, le relief, peut-être la géologie : parfois, en fin de journée, comment se fait-il que la peau apparaisse soudain si chaudement ambrée alors que le ciel conserve encore son azur glacé ? La lumière nous touche par son mystère. En architecture, il serait illusoire de vouloir préméditer tous les effets qui se produiront par les interférences mobiles, aléatoires, de l’éclairage et de la lumière naturelle : aucun des outils habituels du projet ne parvient à visualiser à l’avance ce qu’il adviendra dans la réalité de l’in situ, que seule une connaissance intuitive du concepteur, fruit de ses expérimentations, permet d’imaginer et de pressentir.
Dans ces potentialités inconnues, dans ce qui nous échappe, réside la beauté secrète de cette matière abstraite, son pouvoir poétique. Ce sont les « accidents », comme on le dit en peinture – suscités par exemple par les interruptions soudaines que provoque l’interposition d’un nuage –, qui permettent la surprise, la magie de l’instant. Aussi n’est-il guère étonnant que la lumière ait pu servir, dans la plupart des cultures, de métaphore à l’ineffable et au spirituel. Cette part d’imprévisible et d’indéterminable, cette irruption de la contingence inscrit alors l’architecture dans le flux du monde et lui confère la vie, ce perpétuel devenir.