La Villa Carl Ficke : un lieu, plusieurs vies

La Villa Carl Ficke, située sur le boulevard de la Résistance à Casablanca, est un véritable joyau de l’architecture néoclassique du début du XXᵉ siècle. ​Erigé au début des années 1910 par l’architecte autodidacte Ulysse Tonci, elle fut la résidence de Carl Ficke, un homme d’affaires allemand influent de l’époque. Au fil des décennies, la villa a connu diverses affectations, servant notamment de maison d’accueil et de collège. Conscient de sa valeur patrimoniale, la ville de Casablanca a entrepris un ambitieux projet de réhabilitation pour transformer la Villa Carl Ficke en un musée dédié à l’histoire de la ville.

Réhabilitée entre 2016 et 2024 par l’architecte et anthropologue Salima Naji, la villa s’inscrit comme un modèle de préservation du patrimoine. Sa scénographie muséale, pensée par Isabelle Timsit, offre une expérience immersive permettant aux visiteurs de redécouvrir l’histoire de Casablanca à travers un parcours architectural et sensoriel inédit.

Ce projet marque également une première au Maroc, puisque la Villa Carl Ficke est la première réhabilitation à intégrer une matériauthèque, un espace dédié à la conservation et à la mise en valeur des matériaux utilisés dans la restauration du patrimoine bâti.


Les travaux prévoient une restauration complète de l’édifice ainsi que l’aménagement paysager de son parc environnant. Doté d’un budget de 25 millions de dirhams, ce projet est financé par le Ministère de l’Intérieur (DGCT). Une fois rénovée, la villa abritera quatre expositions par an et espère accueillir près de 100 000 visiteurs annuels.

crédit photo : Casa amenagement

Inscrit dans le cadre du Plan d’Action Communal 2022-2027, ce projet ambitionne d’enrichir l’offre culturelle de Casablanca, en prévision d’événements internationaux tels que la CAN 2025 et le Mondial 2030.

SOUVENIRS D’UNE ÉPOQUE RÉVOLUE : LE TÉMOIGNAGE DE YASMINA HAMDI

Parmi les multiples vies de la Villa Carl Ficke, l’une d’elles reste particulièrement marquante pour celles qui y ont étudié. Il y a vingt-cinq ans, ce majestueux édifice abritait l’un des meilleurs collèges publics destinés aux jeunes filles. Un lieu d’apprentissage et de découvertes, mais aussi un espace chargé d’histoire et de mystères, qui a marqué à jamais les esprits de celles qui l’ont fréquenté.

Parmi elles, Yasmina Hamdi, rédactrice au sein de la revue d’architecture A+E et auteure de cet article, partage ses souvenirs avec une émotion intacte :

« Lorsque j’étais élève dans cet établissement, la villa exerçait sur moi une fascination inexplicable. Elle était déjà marquée par le temps, certaines pièces condamnées nourrissaient les légendes que nous nous racontions à voix basse dans les couloirs. Chaque recoin semblait renfermer un secret, et le moindre bruit dans les escaliers suffisait à attiser notre imagination. »

Entre cours de musique, arts plastiques, couture et sport, l’enseignement était complet et offrait une formation solide aux jeunes filles en quête de vocation. Mais au-delà du programme scolaire, c’était l’atmosphère unique de la villa qui captivait l’imaginaire des élèves.

« Je me souviens particulièrement des salles de classe baignées de lumière, dont l’une servait aux cours de couture et de cuisine. Une autre, plus discrète, en haut d’un escalier en colimaçon, abritait les cours de musique. C’était une pièce ovale, éclairée d’une seule lampe, où nous nous entassions pour écouter notre professeur, Monsieur Adnane, ce jeune enseignant brun au charisme indéniable, qui faisait chavirer les cœurs de mes camarades. »

Terrain de basket et de volley-ball, aujourd’hui transformé en bassin d’eau figé

Les journées étaient rythmées par les activités sportives, notamment sur un terrain de basket et de volley-ball, aujourd’hui transformé en bassin d’eau figé.

« Nos vestiaires se trouvaient dans les sous-sols sombres de la villa, d’anciens espaces militaires reconvertis. Ils exhalaient une odeur de moisissure et résonnaient du bruit de nos pas précipités. Nous traversions les jardins, la chevelure battue par le vent, pour nous échauffer sur les bordures avant d’investir le terrain. »

crédit photo : Casa amenagement

Les laboratoires de sciences étaient également un lieu de découvertes passionnantes :

« Nous avions la chance d’avoir deux bâtiments annexes dédiés aux sciences. Ils étaient équipés de plans de travail en carrelage blanc, où nous menions des expériences fascinantes sous l’œil attentif du professeur. À chaque séance, il sélectionnait quelques élèves pour l’aider à transporter le matériel depuis un débarras, un privilège que nous étions fières d’obtenir. »

Au fond du collège, une véranda en verre servait d’atelier d’arts plastiques.

« Certains carreaux étaient brisés, mais l’endroit conservait un charme particulier. Notre professeur, un homme d’un certain âge à l’humeur grincheuse, passait ses journées entre ses pinceaux et sa cigarette. Malgré son air sévère, il insufflait en nous le goût du dessin et des couleurs. »

Mais ce qui reste gravé dans sa mémoire, ce sont les jours de pluie :

« Lorsque la pluie tombait, l’atmosphère devenait presque poétique. J’aimais observer les gouttes s’écraser contre les vitres, bercée par leur doux clapotis. Dans ces instants suspendus, j’oubliais les cours et laissais mon esprit vagabonder au gré de mes lectures. Assise sur les marches du jardin, j’étudiais en avance mes leçons et me plongeais dans les romans de Barbara Cartland, empruntés à notre petite bibliothèque du BDE. Ses récits romantiques faisaient écho à l’histoire de cette villa majestueuse, nourrissant mes rêveries de jeune romancière en devenir. »

UNE NOUVELLE VIE POUR LA VILLA CARL FICKE

Aujourd’hui, la Villa Carl Ficke s’apprête à écrire un nouveau chapitre de son histoire. De collège à maison d’accueil, puis de bâtisse abandonnée à musée, elle demeure un témoin vivant de l’évolution de Casablanca.

crédit photo : Casa amenagement

Grâce à cette réhabilitation ambitieuse, ce lieu chargé de mémoire renaîtra sous une nouvelle forme, tout en conservant son âme d’antan. Un projet qui ne se contente pas de restaurer un monument, mais qui lui offre une seconde vie, où passé et présent dialoguent harmonieusement.« La Villa Carl Ficke a marqué mon enfance et celle de nombreuses jeunes filles casablancaises. La voir renaître en un espace culturel dédié à l’histoire de la ville est une véritable source de fierté. Cet édifice, autrefois empreint de mystères et de poésie, continuera d’inspirer les générations futures, portant en lui la mémoire de celles qui l’ont un jour habité. »

GALERIE PHOTOS

crédit photo : Casa amenagement
ARTICLE PAR Yasmina HAMDI
CRÉDIT PHOTO crédit photo : Casa amenagement

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