El Montacir Bensaïd est un architecte maroco-danois de renom, dont le parcours académique et professionnel est marqué par une riche diversité culturelle et géographique. Après des études aux Beaux-Arts de Paris et à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles, il poursuit sa formation à l’École d’architecture d’Aarhus au Danemark, où il devient le premier Marocain diplômé de cette prestigieuse institution. Son parcours académique est également enrichi par un passage à l’Université Harvard aux États-Unis. De retour au Maroc, il occupe le poste de directeur de l’École Nationale d’Architecture (ENA) de Rabat de 2005 à 2013, période durant laquelle il initie des réformes pédagogiques majeures et renforce les partenariats internationaux de l’établissement. Parallèlement à ses activités académiques, El Montacir Bensaïd est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont « Moi vs moi » et « Le Sang d’Anna », et participe activement à des conférences internationales sur l’architecture, le patrimoine et le paysage. Aujourd’hui, il continue de partager son expertise en tant qu’enseignant et conférencier en Europe et au Moyen-Orient, contribuant ainsi à la formation des futures générations d’architectes.
A+E // Présentez-vous-en quelques mots et parlez-nous brièvement de votre parcours professionnel.
Montacir Bensaid : Je suis un architecte de formation scandinave, diplômé de l’Ecole d’Architecture de Aarhus, Danemark (AARHUS ARKITEKSKOLEN). J’ai un parcours assez peu conventionnel, j’ai commencé aux Beaux-Arts de Paris, suivi d’un bref passage à l’Académie des Beaux-arts de Bruxelles avant de rejoindre le Danemark. J’ai aussi une formation en Housing and Urban Design de Harvard, Massachussets. J’exerce dans le privé depuis 1988, avec des interventions aussi bien au Maroc qu’en Arabie Saoudite, Libye, Espagne… J’ai mis entre parenthèses mon agence pendant huit ans, de 2005 à 2013, suite à ma nomination à la tête de l’Ecole Nationale d’Architecture de Rabat (ENA). Pendant toutes ces années j’ai enseigné dans différentes écoles d’architecture au Maroc et animé des conférences en Europe et au Moyen Orient.
A+E // Comment définiriez-vous le rôle de l’architecte aujourd’hui ?
M.B. : Le rôle de l’architecte, aujourd’hui, ne peut plus se définir en quelques mots avec des références de savoir-faire classique, à savoir la réflexion, la conception, la réponse aux attentes du maître d’ouvrage etc…Il est en permanence bousculé par les nouvelles techniques, les informations via les réseaux sociaux et les plateformes numériques, il doit non seulement se tenir à jour en temps réel des nouveautés mais aussi être capable de faire des choix rapidement en anticipant sur l’impact de cet afflux anarchique de données susceptibles de perturber son œuvre. En un mot l’architecte n’est plus seul aux commandes, l’IA est son concurrent dénué d’empathie mais réactif et surtout disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre. La personne de l’architecte, sa capacité d’écoute et d’interprétation, sa dimension humaine, son charisme seront aussi importants que son talent.
A+E // Si vous deviez expliquer pourquoi vous avez choisi l’architecture comme métier, quelle image utiliseriez-vous ?
M.B. : L’empreinte ! L’empreinte de l’homme sur la société, la preuve de son passage et l’impact de cette empreinte sur les usagers. Il y a de la grandeur dans l’architecture, les civilisations disparaissent, les édifices demeurent. Après des milliers d’années, on continue à s’extasier devant les pyramides d’Egypte, les temples d’Angkor, nos palais et mosquées plusieurs fois centenaires. Nous sommes les sentinelles du temps qui passe.
A+E // Quel autre métier auriez-vous aimé exercer ?
M.B. : Le notariat ou l’archéologie. Le premier pour son côté emblématique, rigoureux et encore une fois, le témoignage écrit qu’il laisse derrière lui pour les générations à venir. L’archéologie pour l’aventure, l’exploration, la découverte, l’analyse et la transmission du savoir.
A+E // Quels conseils pouvez-vous donner aux jeunes futur(e)s architectes ?
M.B. : Là vous posez une question extrêmement sensible, je vais tâcher d’y répondre assez succinctement alors qu’il me faudrait des heures pour aider à poser les jalons de la déontologie, du professionnalisme et du succès pour cette jeune et prometteuse génération. Il faut que nos jeunes architectes comprennent qu’on ne devient pas architecte parce qu’on a un diplôme d’architecte, cela n’est qu’une formalité nécessaire à l’exercice de la profession, je vais dire cela à ma manière :
Soyez dignes ! Vous êtes les maîtres du jeu, soyez créatifs, sérieux, honnêtes, productifs, réactifs ! Remettez-vous en question en permanence, il n’y a pas d’âge pour le faire ! L’IA, les logiciels de plus en plus performants ne réfléchissent pas, ils sont vos outils du futur et non pas vos maîtres, faites-en un usage contrôlé. Etre architecte n’est pas un automatisme, c’est une vocation, un sacerdoce avec beaucoup d’appelés et très peu d’élus, alors soyez disciplinés et persévérants.
A+E // Qu’avez-vous à dire aux jeunes architectes diplômés à l’étranger qui hésitent à rentrer exercer au Maroc ?
M.B. : Il y a plein de défis au Maroc, beaucoup à faire, notre pays est en effervescence constante, malheureusement nous sommes mal organisés, les règlements d’urbanisme sont obsolètes et coercitifs, ils nous empêchent de nous exprimer artistiquement comme on le ferait en Europe par exemple. Pour ceux qui veulent vivre une vie d’architecte sans efforts, sans engagement et mobilisation, revenir n’est pas une option mais je suis sûr que la plupart veut rentrer dans la mêlée et faire profiter son pays d’un savoir différent et complémentaire. Leur regard et leur expérience sont nécessaires à l’évolution de nos villes et de notre cadre bâti en général.
A+E // Quel changement majeur pensez-vous qu’il serait nécessaire de faire dans le domaine de l’architecture au Maroc ?
M.B. : L’urgence doit aller à la formation et à la formation des formateurs. Nos étudiants ne sont pas assez bien préparés aux défis de la technologie, à la répercussion des changements climatiques sur nos réalisations, aux normes environnementales. L’encadrement ne suit pas non plus, les formateurs demeurent souvent dans leur zone de confort avec des connaissances acquises et qui ne sont plus à même de répondre aux exigences nouvelles de l’architecture. Nous avons connu le séisme d’El Haouz et nous nous sommes rendus compte du manque de connaissance d’une grande partie de nos architectes de la richesse et de la diversité de notre architecture en terre et de la manière de l’approcher, de l’analyser et de la renforcer. Nous avons besoin de plus mise à niveau de notre profession via des séminaires, des colloques et de la formation continue. L’architecture au Maroc est incomprise par l’administration et par les clients qui la cantonnent à un acte de bâtir avec un moins disant en termes d’honoraires, au lieu d’en faire un outil de développement des zones rurales, de création de villes connectées et d’urbanisation voulue et non subie de notre territoire.
Sans transition :
A+E // Le métier d’architecte en une couleur ?
M.B. : Toute la palette, rien n’est figé en architecture pour notre bonheur à tous. J’aime le bleu parce qu’on pense que le ciel est bleu à cause du reflet de la mer mais pourquoi ce ne serait pas le contraire ? Ainsi en est-il de l’architecture.
A+E // Le métier d’architecte en une citation ou proverbe ?
M.B. : « If you want an easy life, don’t be an architect » Zaha Hadid.
Si vous voulez une vie facile, ne soyez pas un architecte ! Si l’architecture était un son ou une mélodie, lequel choisiriez-vous ? Sans hésitation, le Boléro de Ravel, j’imagine nos bâtiments qui s’élancent, majestueusement, vers le ciel avec le rythme soutenu de l’orchestre d’André Rieu.
A+E // Le métier d’architecte en une émotion : laquelle vous vient en tête ?
M.B. : J’aurais tendance à répondre : EMOTION ! Pour être plus précis : HARMONIE !
A+E // Si vous deviez décrire l’architecture avec un parfum ou une odeur, lequel serait-il ?
M.B. : Vera Wang for Men. Rare, épicé, boisé, changeant en fonction des pigments de peau, surprenant à chaque saison.
A+E // Quelle saison représente le mieux l’architecture selon vous, et pourquoi ?
M.B. : L’automne, j’aime la patine dorée des feuilles qui tombent avec la promesse d’un renouveau, d’une renaissance avec plus de couleurs, plus de force et de vigueur, à l’instar de nos vieilles murailles témoins du temps qui passe et des structures modernes, en acier et verre qui leur permettent de s’y refléter comme pour une cure de rajeunissement.
A+E // Si vous deviez définir ou illustrer le métier d’architecte en un poème : lequel choisiriez-vous ?
M.B. : « Heureux qui comme Ulysse » de Joachim du Bellay. J’y retrouve ma quête, mon voyage dans…Le clos de ma pauvre maison…Le séjour qu’ont bâti mes aïeux…Des palais romains aux fronts audacieux… Il y a une émotion, une nostalgie qui ne me quitte jamais quand j’achève mes réalisations avec une envie fréquente de refaire le voyage vers la genèse du projet.
A+E // Pour vous, l’architecture, c’est avant tout ?
M.B. : La maîtrise sensuelle de l’espace pour le bien-être de l’Homme, comme une aspiration et une volonté permanente du concepteur.