Architecte marocaine au parcours cosmopolite, Meryem Benyahya incarne cette nouvelle génération d’architectes qui tissent des liens subtils entre identité locale et ouverture internationale. Formée à Londres, passée par Hong Kong chez QUAD Studio, elle dirige aujourd’hui BENY Architects à Casablanca, où elle explore une architecture innovante, ancrée dans son contexte et attentive au détail. Entre souvenirs fondateurs, influences comme Zaha Hadid et engagement pour le collectif, elle partage avec nous sa passion pour un métier qu’elle envisage comme un art de bâtir la beauté et la dignité.
A+E // Qui suis-je ?
Je suis Meryem Benyahya, architecte Marocaine, diplômée à Londres, où j’ai poursuivi mes études de 2010 à 2017 avant de rejoindre QUAD Studio à Hong Kong. J’y ai acquis une solide expérience sur des projets de grande envergure, mêlant innovation, design paramétrique et vision urbaine. Après ce parcours international, j’ai fondé BENY Architects au Maroc, avec la volonté de proposer une architecture avant-gardiste ancrée dans son contexte, à la fois sensible, fonctionnelle et tournée vers l’avenir. Je continue de collaborer étroitement avec QUAD Studio, devenu au fil des années un partenaire de confiance. Ensemble, nous participons à des concours internationaux, notamment au Maroc, portés par une vision commune : contribuer activement au développement du territoire à travers des projets porteurs de sens.
A+E // Comment définiriez-vous le rôle de l’architecte aujourd’hui ?
M.B. : L’architecte aujourd’hui, c’est celui qui sait lire entre les lignes d’un lieu, d’une société, d’un besoin.
A+E // Si vous deviez expliquer pourquoi vous avez choisi l’architecture comme métier, quelle image utiliseriez-vous ?
M.B. : Je choisirais l’image d’une famille dans une maison précaire, dans un bidonville que j’ai visité vers l’âge de 7 ou 8 ans. Ce jour-là, j’ai pris conscience, sans vraiment mettre de mots dessus, des inégalités et du rôle que l’architecture pouvait jouer. Ce n’était pas une question de luxe, mais de dignité, de confort, d’équilibre. J’ai compris que tout le monde aspire au beau, même si le beau est subjectif et que l’architecture, à sa manière, peut offrir cette part de beauté et d’équité à chacun.
Zaha Hadid m’a inspirée par son audace et sa capacité à briser les frontières, tant artistiques que sociétales. En tant que femme, son parcours m’a prouvé qu’il n’y a aucune limite à ce que nous pouvons accomplir avec vision et persévérance.
Meryem Benyahya
A+E // Quel autre métier auriez-vous aimé exercer ?
M.B. : J’aurais aimé être cheffe cuisinière, dans l’univers de la gastronomie. Comme en architecture, tout y repose sur la justesse : le détail dans un plat, l’équilibre des saveurs comme celui des volumes, la précision qui crée l’émotion. Chaque ingrédient est choisi, dosé, mis en scène, comme chaque matériau, chaque courbe dans un projet. Mais au-delà du visuel, il y a le goût, l’instant, l’émotion. La cuisine, c’est une forme d’architecture éphémère, qu’on peut ressentir… et savourer.
A+E // Quels conseils pouvez-vous donner aux jeunes futur(e)s architectes ?
M.B. : Le 14 janvier 1986, à Marrakech, feu Sa Majesté le Roi Hassan II a prononcé un discours mémorable devant le corps des architectes marocains. Dans ce discours, iI a insisté sur le rôle central de l’architecte en tant qu’acteur du développement du pays, appelant à une architecture qui soit à la fois fonctionnelle et belle. Il a souligné que la beauté en architecture n’est pas un luxe, mais une nécessité qui contribue au bien-être des citoyens et à la dignité humaine.
S’inspirer autant des grands architectes que des philosophes et penseurs qui interrogent le monde. Car l’architecture, au-delà de l’esthétique, a une portée sociale et humaine : elle doit être belle, fonctionnelle et pensée pour celles et ceux qui l’habitent. Autre point essentiel : cultivez une vision collective.
L’architecture n’est pas un exercice d’ego, mais un acte de partage, de dialogue et de responsabilité envers la société.
A+E // Qu’avez-vous à dire aux jeunes architectes diplômés à l’étranger qui hésitent à rentrer exercer au Maroc ?
M.B. : Prenez le temps qu’il faut. Formez-vous, explorez, confrontez-vous à d’autres échelles, d’autres visions, d’autres manières de penser. Et quand vous sentirez que vos bases sont solides, revenez. Revenez avec des outils, une exigence, une ouverture… car le Maroc a besoin de vous. Mais il faut être prêt, lucide, et armé.
A+E // Quel changement majeur pensez-vous qu’il serait nécessaire de faire dans le domaine de l’architecture au Maroc ?
M.B. : Il y aurait beaucoup à dire, mais s’il fallait commencer par un changement majeur, ce serait d’instaurer une vision urbaine globale, cohérente et structurée, avec une vraie identité visuelle à l’échelle des villes. Il est nécessaire de penser le Maroc autrement que par une addition de bâtiments, l’architecture ne peut exister sans urbanisme.
Je suis aussi profondément attachée à la préservation du patrimoine, notamment à Casablanca, dont le boulevard Mohammed V, avec son héritage Art déco, mérite de retrouver toute sa grandeur. La force des grandes villes repose sur leur mémoire. Si l’on oublie notre histoire architecturale, on perd notre âme.
Enfin, je pense qu’un réseau de transport plus ambitieux et mieux intégré est essentiel. Penser la ville, c’est penser le mouvement, les connexions, les usages. Il faut agir vite, avec une vision d’ensemble, car c’est à cette échelle que les changements deviennent durables et porteurs de sens.
Sans transition :
A+E // Le métier d’architecte en une couleur ?
M.B. : Vert. Parce que l’architecture doit renouer avec la nature, respirer avec elle.
A+E // Le métier d’architecte en une citation ou proverbe ?
M.B. : « Habiter poétiquement le monde ». Un vers du poète allemand Hölderlin.
A+E // Si l’architecture était un son ou une mélodie, lequel choisiriez-vous ?
M.B. : Oxygène de Jean-Michel Jarre !
A+E // Le métier d’architecte en une émotion : laquelle vous vient en tête ?
M.B. : Liberté.
Parce que l’architecture offre cet espace où l’on peut penser autrement, rêver en grand, sortir des cadres. C’est une émotion profonde, presque physique — celle de tracer une courbe, d’imaginer ce qui n’existe pas encore, de transformer une idée en matière.
A+E // Si vous deviez décrire l’architecture avec un parfum ou une odeur, lequel serait-il ?
M.B. : Un parfum de bois de cèdre qu’on retrouve dans les mosquées.
A+E // Quelle saison représente le mieux l’architecture selon vous, et pourquoi ?
M.B. : Toutes les saisons représentent l’architecture, car une architecture vivante, sensible et bien pensée dialogue avec chacune d’elles.
A+E // Le métier d’architecte en un poème : lequel choisiriez-vous ?
M.B. : L’invitation de Paul Valéry : “Ce que l’homme bâtit, bâtit aussi l’homme.”
A+E // Pour vous, l’architecture, c’est avant tout… ? (Complétez avec un mot ou une phrase)
M.B. : Penser collectif.
INFOS
75 bd 11 Janvier, 1er étage, appt N° 169, Casablanca, Maroc
contact@benyarchitects.com
Propos recueillis par Yasmina Hamdi