Mahdi Naim, designer hybride

MAHDI NAIM, DESIGNER

Mahdi Naim est un leader dans la recherche de pointe et l’investigation conceptuelle. Le designer aborde son travail comme une introspection de son époque, sans pour autant renier le passé. Son approche novatrice s’appuie sur des inspirations et des références au biomimétisme, à la morphotectonique et à tous les langages issus des nouvelles technologies de conception et de fabrication. Ses créations hybrides sont des compositions dont les détails et les formes intriguent. L’artiste travaille avec une intention délibérée: mettre au point de nouvelles expressions dans des atmosphères créatives dynamiques. Attentif aux nouvelles tendances, sensible aux nouveaux outils autant qu’à la beauté des formes, il recherche l’épure, en évitant de tomber dans le conformisme du bon goût. L’artiste est dopé par un désir profond de liberté. Né à Essaouira en 1977, Mahdi Naim a évolué pendant huit ans dans les plus prestigieux bureaux d’étude de conception Génie civil à Paris. Sa passion pour l’art contemporain et le design l’ont ensuite poussé à créer son label « The Close Galerie », à Paris, en 2007. En 2009, Mahdi Naim a lancé l’atelier IDA, à Casablanca. Il cherche à apporter un caractère fort à des espaces, tout en respectant le contexte dans lequel ils s’inscrivent. Sa biographie figure parmi celles des personnalités ayant contribué au développement et au rayonnement du Maroc, dans « Maroc business intelligence », le premier ouvrage de référence consacré à l’intelligence économique au Maroc.

Mahdi Naim

A+E // Pourquoi avoir fait le choix de vous installer à Lyon pour lancer votre carrière ? 

Mahdi Naim // Pour moi, travailler à Lyon, Paris ou Casa, c’est la même chose. J’ai une ambition que je peux satisfaire à partir de n’importe quel endroit, dès lors que les sujets de réflexion sont intéressants. Je suis le même individu en France ou au Maroc. Cela n’a pas d’incidence sur ma sensibilité, ni mon exigence d’être à la pointe des techniques et langages formels. Au contraire, cela m’aide à cultiver une individualité et à la rendre plus forte.

A+E // Pensez-vous que le design a une nationalité ?

M.N // Le design, comme l’art et toute autre discipline, donne lieu à des pratiques différentes d’un endroit à l’autre, en termes de méthode de production mais aussi de conception et de création. Cependant, le but reste le même : concevoir des objets fonctionnels et esthétiques, à la fois reproductibles et économiques. Néanmoins, je distingue deux types de design. Je vais être volontairement caricatural en disant qu’il s’agit de l’opposition entre un design élitiste et un design populaire. Le design élitiste se veut culturel, s’inspirant des arts et des sciences.  Le design populaire permet un accès à un univers de représentation lié à une forme de pensée sociale. Selon moi, c’est ce dernier qu’on appelle «design identitaire». Mais les deux sont liés à l’existence de l’objet. Sans objet, il n’existe pas de représentation sociale. Si on encourage la création d’objets dits identitaires, on donnera une base à un design identitaire, et vice versa.

A+E // Vous prônez donc un design global et non identitaire ?

M.N // A vrai dire, je ne prône rien. Il y a le client, son identité de marque et un cahier des charges. Vient ensuite le langage que j’affectionne et qui s’inscrit dans un courant international globalisant. Mon intervention consiste à associer ces deux choses à un tout  (la musique, le cinéma, la littérature, la mode), afin d’obtenir un résultat cohérent en phase avec sa  réalité complexe et globale.

A+E // Vous êtes dans la réorganisation constante des choses qui vous entourent. Comment faites-vous la synthèse de tout cela pour aboutir à une forme ?

M.N // Je me base sur les arts et la philosophie. Ils renvoient à différentes facultés de l’esprit. L’art renvoie à la sphère du sentiment, de l’imagination, alors que la philosophie renvoie à ce qui est de l’ordre de la raison. L’art serait donc de l’ordre du confus, de l’effusion des sens, alors que la philosophie, autant qu’elle relève du concept, est liée à la clarification des idées. C’’est cette opposition entre art et philosophie qui m’aide à aboutir à une forme sensible et réelle.

A+E // Vous prêchez une culture universelle. Celle-ci a-t-elle sa place au Maroc ?

M.N // Personnellement, je trouve qu’on fait partie de la culture universelle. L’histoire du monde, l’histoire universelle, est semée de références au Maroc, que ce soit à l’époque antique, avec les Grecs et les Romains.

A+E // Les fabricants et industriels marocains soutiennent-ils ce design international ?

M.N // Les fabricants et industriels marocains existent-ils sur le marché international ? Si c’est le cas, ils reconnaîtront que le design prend aujourd’hui ses lettres de noblesse en s’affirmant comme une démarche globale de conception et de mise sur le marché.

A l’heure où l’on s’interroge sur les moyens de redresser la compétitivité de l’industrie, on aurait tord de sous-estimer la contribution du design à ce grand chantier. Les exemples ne manquent pas pour rappeler que sa maîtrise peut donner un avantage concurrentiel décisif. Le devenir de la production du design au Maroc est lié à la volonté des industriels marocains de conquérir le marché international.

A+E // En définitive, vous réconciliez les mondes artisanal et industriel ! 

M.N // Les codes sont les mêmes. Ce qu’on appelle communément artisanat correspond en réalité à la pré-industrialisation. Toute production industrielle passe par une phase de prototypage qui est plus artisanale. Je n’inclus pas la nouvelle révolution apportée par les techniques de conception et de fabrication digitales.

A+E // Comment abordez-vous vos projets ?

M.N // Pour moi, chaque projet suscite un grand intérêt et beaucoup de curiosité. Je le vis comme étant le premier et le dernier.

A+E // Quelles techniques et quels matériaux aimez-vous utiliser ?

M.N // J’ai une préférence pour les nouveaux matériaux, comme la fibre de carbone, les résines et céramiques haute performance, les techniques issues de la fabrication digitale, stéréolithographie, frittage de poudres ou CNC. Ils reflètent mon époque. Après, je reste ouvert à tous les autres matériaux. Je ne pense pas qu’un matériau prévaut sur un autre. C’est le modèle et sa structure qui le dictent.

A+E // Comment voyez-vous votre époque et les potentialités techniques qu’elle offre à la création ?

M.N // Avec la sophistication croissante de la CAO et autres logiciels de conception, il y a maintenant un large éventail de moyens pour la conception et la fabrication dans le design et ses composants. La prolifération des logiciels de modélisation avancée et les nouveaux matériaux permettent de concevoir et de créer des designs qui serait très difficile à réussir en utilisant des méthodes plus traditionnelles.

A+E // Votre approche s’appuie sur des inspirations liées au biomimétisme, à la morphotechtonique, aux algorithmes… Pouvez-vous nous définir ces concepts et nous en dire plus sur les différentes techniques de conception que vous utilisez ?

M.N // C’est ce qu’on appelle  le « design non standard», ou aussi le biomorphisme. C’est avant tout un art qui met l’accent sur la puissance de la vie naturelle et utilise les formes organiques en design. C’est une manière d’explorer la façon d’intégrer une structure et une forme. Certaines formes biomorphiques sont par nature structurellement résistantes. Il s’agit aussi d’un design à la pointe de l’exploration des possibilités de fabrication numérique, cherchant à rendre possible la réalisation de ces formes complexes, en termes constructif et économique.Il y a une deuxième approche qui consiste à élaborer un schéma mathématique organisant l’ensemble de la structure en fonction d’un certain nombre de contraintes. Grâce au logiciel Mathématica, par exemple. Contrairement aux programmes de modélisation 3D qui induisent un «désir de forme», ce logiciel permet de décrire l’espace en termes logicomathématique, en croisant des informations géométriques, algébriques, symboliques et logiques. Dans les deux cas, le résultat se présente sous deux formes distinctes : les modèles physiques et les fichiers numériques. Les premiers sont constitués de matières et ne posent pas de problème particulier de conservation. Les seconds représentent tout le vrai du travail, en plus d’encapsuler une multitude d’informations à préserver lors d’une éventuelle migration. La création des modèles physiques dépend des fichiers numériques.

A+E // On peut dire que vous êtes un designer hybride, à la recherche de nouvelles expressions ! D’où vous vient ce dynamisme créateur ?

M.N // C’est un désir de créer une cohérence et une précision dans les explorations formelles. Ma créativité est un jeu de formes, de structures et de matières. La conception algorithmique, par exemple, m’aide à encapsuler le potentiel pour de nouveaux modèles. C’est là où je trouve mon bonheur.

A+E // Vous êtes très attentif à votre siècle. Quel est aujourd’hui votre préoccupation majeure en tant que designer ?

M.N // Ma préoccupation du siècle en tant que designer réside dans le développement démographique. Comment être capable de satisfaire la demande croissante de la population sans altérer notre environnement et notre modèle d’existence ?

A+E // Vous exposez partout dans le monde et avez reçu de nombreuses récompenses. Quelles nouvelles expérience et possibilités voudriez-vous aujourd’hui explorer ?

M.N // J’aimerais participer à un projet expérimental en rapport avec l’exploration spatiale.

A+E // Vous êtes aujourd’hui au Maroc, le leader dans la recherche de pointe et l’investigation conceptuelle. Pouvez-vous expliquer la technologie de la réalité augmentée que vous avez mise au point en avant-première au Maroc pour ce numéro de A+E ?

M.N // La réalité augmentée désigne les systèmes informatiques qui rendent possible la superposition d’un modèle virtuel 3D ou 2D à la perception que nous avons naturellement de la réalité, en temps réel. C’est une technologie que j’utilise déjà pour la présentation de mes projets aux clients. Je vais aussi la mettre en œuvre dans un projet ambitieux pour la ville de Casablanca. Le projet ambitionne de valoriser des contenus culturels et patrimoniaux de la ville de Casablanca grâce à la réalité augmentée, en capturant un environnement réel et en le restituant avec du contenu virtuel supplémentaire pour Smartphones et tablettes. Bien plus qu’une ville art déco, Casablanca propose un éventail des styles architecturaux de la première moitié du 20ème siècle. Le projet a pour but de recréer ce type de patrimoine virtuellement, en faisant appel à des architectes in situ, pour la modélisation des édifices sélectionnés et aussi en créant des Dream Project. Il s’agit de repousser les limites du réel, donner l’occasion au public casablancais de voter à travers les médias sociaux. L’ensemble des données doivent interagir avec les sites grâce aux donnés GPS. Le contenu sera enrichi avec des documents historiques, des plans techniques et des films d’animation pour scènes d’intérieur, par exemple. De nombreux partenaires travaillent avec moi pour faire vivre ce projet !


ARTICLE PAR Entretien réalisé par Aida Akalay
CRÉDIT PHOTO MAHDI NAIM

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