À l’origine, se trouvait sur ce terrain une villa conçue par l’architecte Elie Azagury au début des années 70, dans l’esprit de ce qu’il avait initié à Cabo Negro. Il s’agissait au départ d’une demande de réaménagement qui, déclinée une première fois, fera l’objet d’une seconde demande des propriétaires à Arnauld Gilles qui, avec la « bénédiction » préalable du regretté Azagury, fera table rase du passé. Ou presque.
La façade visible depuis la rue ne laisse aucun doute quant aux influences de style de celui dont l’architecte Arnauld Gilles fut un temps le chef d’agence (même si Azagury ne pourrait être cantonné à un seul style tant ses influences et ses inspirations étaient multiples). Cette image de cubes et de volumes blancs imbriqués, habilement travaillés, dont les ombres portées évoquent l’architecture des villages du nord, est forte. Mais ne vous laissez pas tromper par ce premier aperçu, car le contenu et la réflexion derrière cette architecture sont bien plus complexes et contemporains qu’il n’y paraît.
Passée la porte extérieure de la maison, on comprend tout de suite que l’on n’a pas affaire à une demeure ordinaire. Déjà depuis la pente douce qui mène vers l’entrée, la percée visuelle est parlante. A droite, un long mur blanc accompagne le regard du visiteur à travers deux larges portes vitrées qui se succèdent jusqu’au jardin. Sur la gauche, un plan d’eau carré, peu profond, est habillé de marbre noir pour en accentuer l’effet miroir. Le marbre obscur du bassin contraste avec celui – blanc – de son pourtour, et les gravillons qui habillent le sol. Quelques papyrus, et un bel olivier à tronc double taillé à la façon d’un bonsaï, donnent le ton. Minimaliste, zen, l’entrée est prometteuse.
La haute porte vitrée de la maison mène vers un patio qui renferme un deuxième bassin noir, rectangulaire, dans l’axe du premier. Le mur de droite, filant vers le jardin, s’habille d’un bas-relief sous forme d’encyclies, comme autant de gouttes de pluie dont les ondes forment des cercles concentriques à la surface d’un bassin de lait. Cette sculpture est également évocatrice des karesansui japonais. Le patio est entièrement vitré sur deux faces, la troisième comporte deux fenêtres en longueur aux motifs de ferronnerie Art déco, de part et d’autre d’une troisième ouverture vitrée, en partie basse, qui se trouve être une cheminée dont les flammes dansantes offrent, en hiver, un somptueux spectacle. La quatrième face du patio est ouverte et participe à la circulation de l’entrée.
Derrière le mur longeant cette circulation, se trouvent deux chambres d’hôtes, leur cabinet de toilette, et leur salle d’eau commune. En plan, du nord au sud, le bassin d’entrée, puis celui du patio, se prolongent en une longue piscine se terminant par un mur d’eau au fond du jardin, visible depuis le patio, grâce aux jeux de transparences et de percement savamment élaborés par l’architecte. « Un axe structurant dans la longueur du terrain nord-sud, abritant le noyau de circulations verticales (ascenseur et escalier principal), fut matérialisé par les différents plans d’eau traversants : bassin de l’entrée, patio, piscine, chacun de ces éléments conçus comme une « Installation » particulière, basée sur la mise en valeur des reflets et des transparences ».
Autour du patio se développent les différents séjours, salon marocain, salon familial, et salle à manger. Entre le bassin d’entrée et le patio, le bloc de circulation verticale accueille, outre l’escalier, un ascenseur. A l’étage, l’aile ouest contient deux chambres, et leur salle de bains commune, à l’identique des chambres d’hôtes du rez-de-chaussée. L’aile est se compose principalement d’une vaste suite, à la façon des grands hôtels, comprenant un double dressing et un salon en enfilade profitant tous deux d’un balcon commun sur le jardin, protégé par un paravent en aluminium. L’espace nuit est quant à lui composé d’une spacieuse salle d’eau et de la chambre à coucher, dont la loggia, donnant sur piscine et le jardin, dessine la façade radicalement contemporaine et minimaliste au sud.
Outre le sous-sol technique, ventilé et éclairé naturellement dans son ensemble, au second étage, une terrasse paysagée accueille un salon-fitness ainsi que le hammam.
En plus des grilles de certaines fenêtres en ferronnerie faisant ouvertement référence aux motifs de l’architecture de Marius Boyer, les somptueuses salles d’eau et hammam se parent d’élégants marbres noirs et blancs, rappelant l’âge d’or de l’architecture à Casablanca.
Même si Arnauld Gilles fait table rase du projet de son prédécesseur, il y intègre, non sans une certaine subtilité et une sacrée dose d’humilité, quelques clins d’œil à l’architecture marocaine moderne. Le résultat final se veut contemporain, à la recherche d’une plus grande fluidité des circulations, et d’une ouverture vers le jardin, par les multiples vues et transparences, et vers le ciel, par le patio et les miroirs d’eau.
L’architecte a le génie de nous conter, au fil de l’eau, le parcours et l’histoire de celle qu’il nomme si justement Dar Al Lamaane (la maison des reflets), et nous fait rêver le temps d’une balade, depuis la façade côté rue et ses références au passé, jusqu’au jardin et sa façade sud, résolument actuelle.
FICHE TECHNIQUE
MAîTRISE D’OUVRAGE | SCI RADIA |
MAîTRISE D’OEUVRE | ARNAULD G.GILLES |
SITUATION | CASABLANCA – MAROC |
SURFACE COUVERTE | 1625 M2 |
LIVRAISON | 2014 |
MENUISERIE BOIS | 80 PHILIPPE FLUCHAIRE |