Gare au copy, gare !

Né aux Pays-Bas, où il a grandit, Il étudie l’architecture en France, et obtient son diplôme à Marseille en 2003, et y débute sa carrière en cofondant l’agence A.S.A associés d’architecture et d’urbanisme. Aujourd’hui installé au Maroc, véritable globetrotter, Hamid Benyahya cultive en lui depuis toujours un multiculturalisme tolérant et volontaire. En ce sens, il a toujours prôné aussi bien dans ses enseignements dispensés que dans
ses projets le « vivre ensemble ». « Simple mais singulière », phrase qui résume l’architecture de Hamid Benyahya qui se veut multidisciplinaire comme en témoigne la diversité de
ses projets.

C’est à travers de hautes grilles

Que l’ainée de mes enfants

Observait le bâti et son hérésie

La symétrie lui causait bien du tourment

Le nord au sud, l’endroit à l’envers

La chiralité stupide désorientait ma fille

Que cette prison de volontaires

Lui avait à ce point chambouler l’esprit

Gare au Copy, gare !

Ma môme et ses sept printemps s’interrogent

Comment peut-on concevoir si mal

En voyant ce que ce lotissement regorge

De bancal et d’anormal

Ma petite en passant devant ces cages

Me dit : « tu plaisantes j’espère ! »

De l’architecture elle en avait saisi le carnage

Autant vous dire papa n’était pas peu fier

Gare au Copy, gare !

Malheureusement tout le monde s’y précipite

Avec fortune et un esprit tout aussi inculte

Les lotissements de Copy sans aucun mérite

Ont pour conception, une insulte.

Voyant que seule la contenance importe

Le promoteur augmenta

Les dimensions inutiles pour satisfaire de la sorte

L’acquéreur et son absurde désidérata

Gare au Copy, gare !

« Bah oui ! » se disait le Copy débonnaire

Tout réjoui d’abuser à souhait

De la malheureuse invention de Tesler

Jusqu’à se persuader que c’est mérité

Le Copy et sa biscornue éthique

Au prix modique de ses prestations

Cela lui semble même conforme et logique

à bien y réfléchir, évidemment que non.

Gare au copy, gare !

Car si l’on sait que le Copy

En tant qu’architecte ne vaut aucun prix

On sait qu’en revanche il est si petit

Et prêt à tout pour brader son prix

Au lieu de travailler au juste prix

Insouciant, il bazarde son étourderie

Du nord au sud du pays, on retrouve sa fourberie

Gare au Copy, gare !

Comme dit la chanson la suite serait délectable. Mais malheureusement, le sujet n’est pas à la plaisanterie. C’est en visitant un de ces nouveaux lotissements de la banlieue de la capitale (soyez rassurés, il en pousse partout dans le royaume), en compagnie de ma gamine, que je me suis rendu compte de l’ampleur du phénomène et surtout pris conscience de tout ce qui en était sous-jacent.

Répondant aimablement à l’invitation qui m’avait été faite et surtout pour satisfaire ma curiosité, me voilà devant la porte de la villa témoin non sans avoir au préalable montrer pattes blanches au mirador à l’entrée du lotissement qui ne tardera pas à coup sûr à servir de repère urbain.

L’agent immobilier qui avait vu en moi une clientèle cible pour je ne sais quelle raison, et entre autres arguments de vente fallacieux, m’avait vite rassuré sur le côté sécuritaire du lotissement, sur les superficies des lots et des planchers, sur les « qualités » du voisinage destiné à y vivre (sans qu’à aucun moment, il n’ait eu le besoin de connaitre nos besoins et envies). Et cerise sur le ghetto (de classe aisée), nous pourrions décider du choix des revêtements des sols et des murs. Waouh ! Super !! Génial !!! Non je plaisante.

Et je ressors de là, avec une multitude de questions. Entre autres :

Comment peut-on faire le choix d’acquérir un bien et y investir plus de 2 décades de notre capital travail sans se soucier un tant soit peu de son adéquation avec nos besoins ?

Autrement dit, comment acquérir une maison individuelle neuve sans que cette dernière n’ait été conçue selon mon désidérata, mes besoins, mes envies, mes fantasmes…

Il se conçoit donc des maisons individuelles aujourd’hui au Maroc, comme on a conçu il y a un demi-siècle en arrière des logements sociaux. Qui ont eu à fortiori, le mérite de répondre à l’impératif des exigences économiques. Et là encore, le compte n’y est pas. Vu ce que les architectes ont su faire avec le béton. Comment ils ont sublimé ce matériau économique et si abordable par leur génie et maestria. Je pense à Le Corbusier et sa cité radieuse, à Safdie et son habitat 67 ou encore pour rester chez nous à Zevaco, Azagury, Ecochard et ses cités casablancaises, Zeghari et tellement d’autres qui ont excellé dans cet exercice. Et comment ils ont su donner l’impression d’une grande singularité à une architecture somme toute ordinaire. Héritage oublié.

Mais revenons à notre résidence fermée, sécurisée, végétalisée à minima où l’intimité se gagne à la hauteur du mur de clôture acquis au détriment de son ombre portée chez le voisin (frustration et querelle de voisinage en vue).
L’architecte n’est pas le seul à blâmer, mais il répond de sa production. Il est loin d’être le seul décisionnaire. L’acquéreur quant à lui par son acte même vient valider l’ensemble du processus constructif. Il achète des mètres carrés, une localisation et un pseudo sentiment de sécurité. Autant dire que la question de la représentation architecturale, me semble-t-il que les architectes y soient naturellement sensibles (peut-être pas Copy), nous interroge sur la conception que s’en font et l’administration et la société.

Et c’est là, que ressort le sous-jacent évoqué plus haut et l’on se rend bien compte que nous ne sommes pas une société qui porte une véritable culture architecturale en elle, mais à contrario elle manifeste une grande subtilité une finesse et un intérêt certain pour l’art de l’ornementation. Si vous me permettez ce raccourci, rien ne distingue un Ryad d’un autre au niveau du plan architectural (ce qui en soit est une marque d’égalité et de mixité vécues un temps, comme cohésion sociale). A l’inverse, les zelliges, les plâtres sculptés, les marbrures et autres boiseries font de certains ryads une véritable ode aux mille et une nuits. Si les plus aisés d’entre nous n’éprouvent pas le besoin de faire appel à un architecte. Que dis-je, s’ils ne perçoivent pas la nécessité et l’intérêt de faire appel à un architecte. Et qu’au lieu de cela, ils préfèrent recourir à un « aménageur d’intérieur » pour concevoir leur demeure, sans que ce dernier n’ait ni les compétences ni la formation pour le faire. Mais qui trouvera en Copy, un allier subordonné pour lui établir les autorisations requises à un prix dérisoire.

Voilà comment le capital est en train d’anéantir tout simplement l’exercice de la profession tel que nous pouvons encore l’exercer au niveau de la réalisation des habitations individuelles, et nous dirige vers un modèle plutôt nord-américain où les acquéreurs conçoivent in fine leur construction en collaboration directe avec le bâtisseur (qui se dévoile sous le nom de sociétés qui finissent en contractor, c’est dans l’air du temps) et s’attachent les services d’un décorateur pour embellir la chose. Ce processus trouve et là encore, en Copy un allier docile mais encore pour combien de temps. Car Copy ne voit pas qu’il est en train lui-même de scier la branche sur laquelle il est assis. à voir son incompétence en matière de conception, autant dire qu’il en faut peu pour que la maison individuelle se passe des services d’un architecte pour la maîtrise d’œuvre. Architecte à qui l’on impose un carcan administratif de plus en plus chronophage avec des documents qui dépassent souvent et ses compétences, et ses prérogatives dont il devient
in fine responsable ! Métier rêvé, métier fantasmé, et pourtant métier perçu à travers un prisme déformant.

 À l’aune d’une période incertaine marquée par des exigences nouvelles liées au développement humain, aux prises de consciences environnementales et climatiques et aux diverses problèmes socio-économiques. Notre société est en pleine mutation. Et de par là même, ses territoires subissent des bouleversements.

Les grandes villes du royaume doivent se repenser. Au regard des défis
qui se profilent à l’horizon, l’architecte a pleinement son rôle à jouer dans le développement urbain et sociétal des villes, en somme dans le « vivre ensemble ».
Au lieu de cela, et depuis 1986 et le discours royal, malheureusement nous le contenons dans un rôle de plus en en plus « accessoire » (concepteur de plaquettes A3). Pourtant le salut de notre profession, ne passera que par le repositionnement franc et sincère de notre rôle sociétal au centre de la question du développement de nos villes et de nos milieux de vie.

Nous avons l’architecture que l’on mérite ! Pour ma part, quand j’entends les propos de ma gamine, j’aime à croire que la conscience architecturale est chose héréditaire, et sur ce coup, j’ai bien conçu.


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