Laure Augereau, architecte de formation, promeut depuis plus de 15 ans la culture architecturale auprès des publics de tous âges, notamment les enfants. Son projet Made in A vise à développer une culture architecturale commune, permettant non seulement de découvrir sa ville et se l’approprier, mais aussi, pour tout un chacun, de devenir acteur de son environnement urbain et son évolution.
A+E // Présentez-nous Made in A.
Laure Augereau // Made in A est une société que j’ai créée pour promouvoir la culture architecturale en proposant des activités selon différents publics. Des voyages d’études sont destinés aux professionnels et passionnés d’architecture, avec des visites et des rencontres avec les architectes locaux. Depuis octobre 2015, je présente un cycle de visites d’architecture contemporaines sur le territoire marocain.
Pour le jeune public, j’organise des ateliers avec plusieurs outils à ma disposition, expérimentés avec des lycéens. Mon complément par rapport à toutes les formations et informations que l’on trouve sur l’architecture, c’est une dimension de rencontres humaines et également avec l’espace urbain et architectural.
A+E // En quoi consistent les voyages d’études ?
L.A // L’architecture et l’urbain se vit ! Il y a une part de sensible et l’idée est d’aller à la rencontre de ces architectures et de ces espaces urbains, mais aussi des architectes et maîtres d’ouvrage qui ont participé à ces projets.
Ces échanges donnent le temps à la réflexion et vont permettre de développer une culture architecturale commune, avec des références communes. En voyageant à l’extérieur, on découvre ce qui se fait ailleurs avec une différence qui nous saute aux yeux, et une fois rentré chez soi, la prise de recul permet de voir nos propres particularités. Ainsi, tout le monde est tiré vers le haut, vers l’aspect qualitatif, que ce soient les promoteurs, les architectes ou les utilisateurs. Dans mes visites, on fait le choix de ce qui est bon, c’est-à-dire innovant ou qualitatif. Pour assister à ces voyages d’études, la page Facebook ou l’inscription à ma lettre d’information donnent tous les détails : Cycles de visites ou voyages à deux formules : Soit on me sollicite pour la réalisation d’un projet de voyage, soit je propose une destination et l’on s’inscrit en tant qu’individu.
A+E // Parlez-nous maintenant des ateliers pour enfants.
L.A // Les ateliers pédagogiques sont destinés à aller à la rencontre du jeune public, en espérant entrer dans des projets pédagogiques plus larges avec les écoles et les réseaux scolaires.
Je pars du principe que pour être créatif demain, il faut regarder ce qui a déjà été fait.
Dans l’un des ateliers consacré à la ville, chaque enfant va positionner son cube de bois, représentant symboliquement un habitat, dans un espace plus ou moins grand et défini afin de créer un quartier urbain et se poser des questions sur son aménagement, ses contraintes géologiques et environnementales, les notions de vivre ensemble, de commerces de proximité, de services publics, de transports etc… Par l’écoute des autres, le partage d’idées et les questionnements communs, les enfants sont amenés à réfléchir sur un projet architectural, à se l’approprier et à s’y projeter. De mon côté, je donne mon regard d’architecte.
Un autre atelier s’organise autour d’un jeu de rôle où chaque enfant, ou adulte, a un rôle à jouer (maire, urbaniste, chef de famille, chef d’entreprise…). Ils doivent, tous ensemble résoudre trois projets pour leur ville. Par exemple: leur ville doit construire un centre commercial, organiser un festival de musique, et résoudre le problème de crue de la rivière. Ou bien, leur ville est située sur une colline et elle doit ouvrir une usine chimique, créer un lotissement et des pistes cyclables. Chacun doit apporter sa pierre à l’édifice compte tenu de sa situation personnelle.
Au final, les participants sont amenés à construire un habitat au travers d’un acte individuel qui s’inscrit dans la collectivité.
A+E // Quel est l’objectif que vous recherchez ?
L.A // Il s’agit de développer une culture commune de cet environnement bâti. J’ai adoré mes études d’architecte car on approche de nombreux domaines, on s’ouvre à notre environnement bâti. On a un regard différent sur notre environnement et c’est cela que je veux faire partager, offrir à tout le monde : regarder sa ville autrement, et non pas simplement la subir. Parfois s’en émerveiller, même dans une rue sale, car on peut voir autre chose. Après, en partageant cette culture, un pas est fait avec les promoteurs, et un genre de workshop peut se créer, ouvrant un temps de réflexion sur le comment vivre ensemble… entre architectes, ingénieurs, utilisateurs…
A+E // Vous souhaitez donc que le citoyen devienne actif dans sa propre ville ?
L.A // Tout à fait ! L’idée de citoyen actif, c’est ce que l’on peut être d’abord. Il faut savoir qu’il y a plus de 50% d’urbains sur la Terre. Il ne faut plus que l’on subisse cette culture mais qu’on l’aime vraiment en commun. Il faut pour cela développer cette idée de culture architecturale et urbaine pour être davantage acteur et révéler son aptitude dans son environnement proche permet de regarder à des échelles différentes sa ville, le monde…
A+E // Concrètement, comment être plus acteur ?
L.A // On peut l’être de maintes façons : Dans son comportement de tous les jours, dans son regard, par la compréhension de ce qui nous entoure, être en position d’être utilisateur et être sollicité pour un projet qui va se faire et dans ce cas, avoir un regard averti. Il faut également être demandeur de qualité d’espace public, qualité du bâti et ne pas subir. Les enfants seront peut-être un jour promoteur immobilier donc si leur regard a été éduqué, c’est inhérent à eux.
A+E // Les vieux bâtiments répondent-ils à ces critères ?
L.A // Oui, dans un certain sens. Les bâtiments anciens ne sont pas forcément mieux que les nouveaux mais il y a une perte dans la qualité aujourd’hui. Un bâtiment ancien, jusque dans les années 1960, était construit avec des matériaux qualitatifs. Et il n’y avait pas encore cet engouement pour la rapidité de construction, il y avait un certain raisonnement. Par exemple, si l’on regarde de plus près l’immeuble Assayag à Casablanca, on constate que l’architecte Marius Boyer n’a pas fait qu’un bel objet. Il a développé cette idée d’agrandir son linéaire de façade pour que chaque pièce soit éclairée et ventilée naturellement. N’est-ce pas cela cette idée actuelle de développement durable ? Pour moi, c’était de l’architecture raisonnée : il a permis une lumière naturelle, minimale, des systèmes de verrières qui fait qu’en ouvrant une fenêtre, l’on n’est pas tout de suite sur la rue donc il y a la préservation de l’intimité, des circulations diverses, un sous-sol de parking souterrain créé dès 1930 ! Le 8è niveau comprend des espaces collectifs, de petites loges qui donnent accès à une petite terrasse pour étendre son linge. Il n’est donc pas incompatible de faire du beau et du qualitatif. Et pourtant, ce n’était pas un bâtiment au luxe ostentatoire.
A+E // Quels sont les critères pour être un bon bâtiment aujourd’hui ?
L.A // Les solutions sont très diverses de nos jours mais il y a des choses intéressantes qui se développent aujourd’hui sur l’habitat : par exemple, en France, dans la région du sud-ouest, un bailleur de logement économique a fait l’expérience de logements économiques en faisant participer les habitants avec les architectes. Les gens pouvaient participer au dessin de leur logement. De plus, des réunions ont été organisées pour aménager les espaces collectifs. Avant même d’habiter dans leur logement, ils ont participé et décidé de ces aménagements, un esprit communautaire s’est créé avant même qu’ils ne soient voisins. C’est l’une des clés de construire ensemble pour mieux vivre.
De même, à Vienne en Autriche, 700m2 d’espaces collectifs ont été aménagés par les habitants eux-mêmes, tenant compte des particularités de chacun (personnes âgées, familles…) : garages à vélos, petit espace garderie, cuisine collective, appartement pour invités… De ce fait, de meilleures relations de voisinages se sont instaurées. En développant cela à une certaine échelle, on soulage tout le monde. Il y a une certaine compréhension de l’autre. En cela, la ville et l’architecture peut apporter quelque chose dans le problème de vivre ensemble.
Aujourd’hui, il est nécessaire d’apprendre à habiter avec les autres. Il faut développer la dimension, avant l’espace public, qui est l’espace partagé.