« Map My City » – Lina Meskine

Du 2023-01-28 - au 2023-03-04

L’association Global Shapers Community Rabat vous invite à découvrir le projet « Map My City » initié par la jeune architecte Lina Meskine et ce jusqu’au 4 mars 2023, à l’Institut Français de Rabat. La ville est faite des fragments de la vie quotidienne, de nos histoires et de nos rencontres. Ici, les brodeuses se transforment en conteuses urbaines: elles témoignent du monde autour d’elles, en manipulant la broderie comme un langage féminin imagé et symbolique.


Le projet Map My City raconte la ville à travers le regard de quatre jeunes brodeuses, originaires de Salé. Cette œuvre collaborative constitue une carte sensible et subjective de la ville, entièrement brodée à la main. Une géographie sentimentale, qui traduit la perception de ces jeunes filles et leur expérience personnelle.

La toile brodée du projet Map My City – Crédit Photo: M Barji Prod

En interrogeant les brodeuses sur leur rapport à la ville, le projet soulève les questions de l’inclusion sociale, de l’appropriation de l’espace public, mais aussi celle de la question du genre dans l’espace public.


A+E // Parlez-nous de la genèse de ce projet

Lina Meskine: Je voulais explorer des questions liées à la ville à travers un projet artistique. Les cartes sensibles et mentales m’ont toujours intéressé : elles racontent la ville à travers une expérience individuelle. C’est l’approche phénoménologique de Kevin Lynch en urbanisme qui se penche sur l’espace vécu et perçu par les habitants. 

Et puis d’un autre côté, il y avait la broderie. J’ai découvert sur Instagram l’École de Broderie de Salé fondée par Fadila El Gadi, qui forme de jeunes issus de milieux défavorisés et je voulais faire quelque chose avec eux. De là est venue l’idée de broder une carte sensible de la ville. 

Enfin, l’idée du projet est aussi le fruit de plusieurs rencontres qui m’ont inspirée, comme l’architecte Meriem Chabani, le collectif New South avec qui j’ai collaboré et mon expérience à l’Appartement 22, un espace d’art indépendant à Rabat.

A+E // Pourquoi le recours au médium de la broderie pour le projet?

L.M: J’aime appréhender la broderie comme étant au-delà d’un art décoratif, un langage et un outil de narration. Walter Benjamin disait que les artisans sont des narrateurs : ils fabriquent des objets de notre quotidien. J’ai découvert cette dimension narrative d’abord dans le tissage et les tapis berbères, où chaque symbole a une signification secrète. Le tissage devient alors une sorte de langage féminin codé à travers lequel les femmes témoignent de leur vision du monde. À l’image du tissage, la broderie est aussi un langage féminin qui peut devenir un outil d’expression. Dans notre projet, nous avons choisi d’impliquer seulement des filles, afin de les interroger sur leur appropriation de l’espace urbain et de poser la question du genre dans la ville.

Enfin, dans la symbolique, broder c’est tisser des fils, relier, créer des liens. C’est l’objectif derrière notre projet : créer des ponts, entre des gens issus de milieux différents, entre Salé et Rabat, et aller à la rencontre de l’autre.

A+E // L’aspect social de votre démarche constitue un pilier important de la constitution de ce projet. Pourriez-vous nous en dire davantage ?

L.M: Nous avons ciblé pour notre projet une catégorie bien précise : des jeunes filles originaires de milieux défavorisés à Salé, la ville qui vit dans l’ombre de Rabat. La toile que nous avons réalisée est une fenêtre sur des réalités sociales que nous ne voyons pas.

En écoutant leurs histoires retracées sur la carte, on découvre que ces filles vivent dans la périphérie de Salé, en zone rurale, où il n’y a pas d’école. Elles n’ont pas eu accès à un enseignement complet, faute de moyens et de transport. Deux filles parmi elles ont été concernées par l’opération de démolition des bidonvilles du quartier El Oued à Salé, où elles habitaient. Elles ont été relogées à Ouled Ayachi, qui est à une heure de route de Salé. Aussi, la ville manque cruellement pour elles de lieux d’épanouissement. Elles rêvent par exemple de faire de la natation et de l’athlétisme mais il n’y a aucune salle ou terrain de sport à proximité de chez elles.

Broder une carte – Crédit Photo: M Barji Prod

La carte permet donc de survoler plusieurs problématiques : l’accès à l’éducation, l’absence d’équipements de proximité, la marginalisation des zones rurales, la question du relogement des habitants des bidonvilles, la sécurité des filles et des femmes dans l’espace public… 

Par ailleurs, le projet permet de mettre en lumière ces jeunes brodeuses et leur offre l’occasion de présenter leur travail au grand public à Rabat. Personnellement, ça ne m’intéresse pas de faire de l’art pour l’art, au Maroc, où les disparités sociales sont très grandes et les espaces culturels et artistiques encore trop élitistes. 

Enfin, Je tiens à rappeler aussi que j’ai développé ce projet en tant que membre de Global Shapers Rabat. L’objectif de notre association est de créer un impact, en travaillant notamment sur l’inclusion sociale.

A+E // Vous avez été récemment récompensée pour votre projet de fin d’études, intitulé  » La narration en architecture  » aux Young Moroccan Architecture Awards. Est-ce que l’on peut considérer que MAP MY CITY constitue également une manière inédite de narrer l’architecture ?

L.M: Map My City est un prolongement de ma réflexion sur l’architecture et la narrativité que j’ai mené dans mon projet de fin d’étude. L’idée est la suivante : les histoires des autres, leur expérience sont le point de départ de tout projet, la matière première avec laquelle nous devrions dessiner nos villes et concevoir nos espaces. Le but n’est pas de narrer l’architecture, mais de concevoir une architecture qui raconte, et qui soit au plus près du besoin de ses habitants. 

Ce projet est bien un projet de narration qui permet de découvrir les réalités des autres et de comprendre leurs besoins… la prochaine étape serait d’intervenir dans la ville.


PROPOS RECUEILLIS PAR SALMA AFIRAT

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