Plus que jamais, la pandémie a démontré l’efficience du modèle médinal. Mustapha Nasser Akalay, enseignant – chercheur à l’Université Privée de Fès pense que ce modèle a été oublié, à tort, dans l’élaboration de l’urbanisme des villes nouvelles et que les urbanistes devraient s’en inspirer pour nous dessiner des villes plus résilientes.
Le cadre dans lequel s’inscrit ce texte part d’une étude de terrain relative à l’élaboration d’un cours d’urbanisme sur la ville résiliente. Cette étude touche de près la thématique liée à l’adaptation et résilience de la ville arabo-musulmane. A cet effet, il nous parait nécessaire de porter une attention sur cet urbanisme du signe, qu’est la médina (de l’arabe Al Madina). Notre champ de recherche s’est limité uniquement à la médina de Fès.
Le champ sémantique de la résilience s’est étendu à l’urbanisme arabo-musulman : on parle de résilience urbaine ou médina résiliente ? Peut –on –revendiquer et valoriser la médina comme symbole de spécificité culturelle et de résilience face aux inondations, séismes, pandémies de tout ordre qui secouent notre environnement ?
La réponse est bien oui, et lors de ce confinement nous nous sommes rendu compte que la médina de Fès, ville à échelle humaine s’adapte mieux aux conséquences de la pandémie que la ville nouvelle et ses quartiers périphériques. Dès le couvre-feu du 16 mars, la population s’est retranchée derrière les remparts et a déserté les lacis des ruelles en se confinant dans les maisons ; les commerces ont fermé, les riads ou maisons d’hôtes ont annulé leurs réservations.
Ainsi la médina s’est érigée en un cordon sanitaire qui arrête la propagation de cette maladie virulente, extrêmement contagieuse, en coupant de cette manière les communications avec la zone où sévit l’épidémie.
En revanche, lors de ce confinement, la périphérie de la ville de Fès se redécouvre vulnérable et doit durcir ses chaînes de fonctionnement de solidarité, afin de garantir la sécurité de la migration rurale. Les populations urbaines pauvres traversent un cycle d’accumulation des risques et de vulnérabilité croissante, induit par une situation d’insolvabilité chronique et par le manque d’infrastructures qui caractérise les quartiers d’habitat sous-intégré.
Parler de la citadinité, dans ces conditions, apparaît une démarche passéiste, une tentative d’exhumer un thème qui a des relents de nostalgie selon le géographe Naciri (Désirs de ville, 2017).
La vieille ville de Fès est la médina la plus grande du monde arabo-musulman et, en dehors de quelques transformations ponctuelles, n’a pas trop changé de physionomie. Même si la vieille dame a vécu un déclin lors de ces dernières décennies, elle a fait preuve d’une grande résilience, ce qui n’est pas le cas de la ville nouvelle. Sa topographie est complexe, pleine de montées et descentes, mais qui permettent toutefois de se repérer dans le réseau des ruelles.
De l’ouvert au fermé, de l’extroverti à l’introverti, la ville finit par dessiner un espace de l’entre deux, où l’histoire et le site décrivent les contours d’un labyrinthe organisé. « L’unité éminente de la médina doit sa sauvegarde à la grande mosquée, vers laquelle tout conflue, et de laquelle tout reflue, comme si elle était un cœur : premier trait. Second trait : l’existence des quartiers à couleur familiale, à niveaux sociaux hiérarchisés. Troisième trait : une continuité immobilière extrême et une stabilité presque ancestrale. Les mutations de l’immeuble, du corps de la ville, obéissent à des règles délicates. Par exemple, encore de nos jours, à Fès, on ne peut pas construire, ou même rehausser une construction, sans demander l’autorisation des voisins. La définition de la ville musulmane est fonctionnelle, selon l’éthique musulmane : elle est un lieu d’échange et de témoignage. La médina est le lieu où le témoignage se fait architecture. » (Jacques Berque : un urbanisme du signe).
Cette médina brutalisée dans sa structure et en crise de citadinité, est devenue un objet de fascination pour nombre d’architectes et d’urbanistes occidentaux qui, déçus par l’uniformité et la lisibilité géométrique des plans de l’urbanisme moderne, trouve en elle un symbole de ville résiliente et durable, dont ils tentent d’imiter la densité du tissu urbain. Déjà Albert Laprade en 1916-17, s’inspirant du tissu médinal, projeta la cité des Habous (biens de mainmorte) située en limite périphérique de Casablanca. L’architecte franco-suisse Le Corbusier fut le premier à réinterpréter l’architecture arabe pour intégrer certains de ses principes à l’architecture moderne. Ainsi, avec son Unité d’habitation de Marseille, il a composé une sorte de quartier arabe vertical, avec ses 360 appartements en duplex, reliés par des « rues » intérieures, ses commerces et ses équipements publics sur un toit en terrasse.
L’heure est au changement de modèle urbain et le monde marocain de l’aménagement des villes doit changer de vision pour réparer cet urbanisme sans urbanité perpétré sous forme de villes nouvelles. Lancées à la va-vite dans les années du boom immobilier du début des années 2000, ces villes nouvelles ont connues un échec cuisant. De cités dortoirs elles sont devenues des cités fantômes. Devant ce spectacle affligeant des maisons cubiques érigées sans souci d’art et de style, dénuées d’originalité, offrent à la vue un spectacle de désolation de quartiers semi-construits et sans infrastructures minimales. Telle est la pesante médiocrité architecturale des villes nouvelles.
Quant à eux les architectes sont un bouc émissaire facile. Car il y a d’autres coupables : décideurs mégalomanes, maîtres d’ouvrage incompétents, entreprises déficientes, juridiction pesante…
La crise sanitaire de la Covid 19 est un séisme qui bouleverse toutes les idées reçues ces dernières décennies et nous impose de revoir notre manière de penser et de travailler. La question se pose ainsi : de quoi sera fait le jour d’après et comment le préparer ? Sur le plan de l’aménagement du territoire : quel modèle de ville devrions-nous mettre en place ?
L’enjeu majeur des prochaines décennies pour les faiseurs de ville sera d’introduire de l’urbanité dans cet urbanisme sans architecture. A cet effet ils doivent revisiter leur passé, réinterpréter leur tradition urbaine incarnée par la ville traditionnelle qui est une organisation rationnelle, verte et résiliente. Tirer des leçons du passé pour les projets urbains modernes, telle est la véritable utilité de l’histoire. Pratiquer un urbanisme de réparation. Le rôle de l’urbaniste marocain est d’abord d’être en phase avec les idées de son temps, car il est de son devoir de connaitre son époque. Cependant, s’il veut agir dans une certaine continuité de l’histoire il doit inévitablement analyser les œuvres du passé pour transmettre à ses contemporains les marques de la mémoire collective. « La ville a continuellement besoin d’être revue, ajustée et transformée, sans que cela mène à la rupture. La preuve en est, l’échec essuyé par le célèbre Le Corbusier et ses disciples lorsqu’ ils ont opéré en ignorant l’ancienne ville, essayant d’en bâtir une nouvelle totalement différente ; ils ont échoué parce que la ville refuse « la tabula rasa », la rupture. La continuité est son essence et creuse sa profondeur existentielle et humaine. Il ne s’agit pas d’un attachement nostalgique à l’histoire, mais d’un éveil de conscience perpétuel, duquel nous devons nous amener pour affronter les changements de l’histoire. Il semble qu’en ce qui concerne la ville, nous ayons négligé ce constat ».