Architecte passionnée et engagée, Zineb Sentissi incarne une génération pour qui l’architecture dépasse largement le geste bâti. Diplômée de l’École Nationale d’Architecture de Rabat, nourrie d’une expérience internationale et animée par la volonté de tracer sa propre voie, elle fonde sa structure pour concilier indépendance, créativité et engagement. Entre héritage familial, responsabilité sociale et désir d’innovation, elle revendique une pratique sensible et consciente, où chaque projet devient un espace porteur de sens.
Dans cet entretien exclusif avec A+E Magazine, elle partage son cheminement, ses inspirations et sa vision lucide du métier, entre doutes assumés, audace revendiquée et fierté de contribuer à l’avenir du territoire marocain.
A+E // Comment définiriez-vous le rôle de l’architecte aujourd’hui ?
Z. S. : L’architecte, aujourd’hui plus que jamais, occupe un rôle essentiel à la croisée des enjeux esthétiques, techniques, sociaux et environnementaux. Il ne se contente pas de concevoir des espaces, il façonne des cadres de vie esthétiques, inclusifs et porteurs de sens.
Selon moi, l’architecte se doit d’apporter de nouvelles idées innovantes à chacun de ses projets. Sa responsabilité est de penser l’espace dans sa globalité, en alliant créativité, rigueur et conscience des défis contemporains.
A+E // Si vous deviez expliquer pourquoi vous avez choisi l’architecture comme métier, quelle image utiliseriez-vous ?
Z. S. : J’ai choisi l’architecture comme métier parce qu’elle m’a toujours attiré par son pouvoir de transformer les idées sur papier en formes réelles et de faire dialoguer beauté et usage. Mais surtout, parce qu’elle portait, pour feu mon père, une force symbolique et une admiration silencieuse. Son regard, ses mots, son rêve inabouti ont éveillé en moi une sensibilité profonde pour cette profession et avec le temps, une suggestion devenue une passion personnelle.

Cette image de la Capital Hill Residence représente bien mes propos. Cette unique villa privée réalisée par Zaha Hadid, située en banlieue de Moscou, et bâtie en 2006, incarne pleinement la vision futuriste et organique de l’architecture que j’admire.
Cette image illustre une audace visionnaire, un geste sculptural puissant.
Je dirai même que c’est le symbole de mon engagement : une architecture qui transcende par l’innovation et repousse les frontières du possible.
A+E // Quel autre métier auriez-vous aimé exercer ?
Z. S. : J’ai toujours été attisé par l’art. Le métier d’artiste peintre crée à travers la couleur et la texture, explore la lumière et les formes sans contraintes techniques : c’est une manière de construire, non pas des espaces, mais des sensations.
C’est donc en relation étroite avec l’architecture, puisque cette dernière offre un langage visuel pour raconter le monde, mais avec une immédiateté plus instinctive et à échelle humaine et urbaine.
A+E // Quels conseils pouvez-vous donner aux jeunes futur(e)s architectes ?
Z. S. : Avec le recul, je me rends compte que le parcours d’architecte se construit autant dans l’incertitude que dans les certitudes. Il n’y a pas une seule manière d’exercer ce métier, et c’est peut-être ce qui en fait la richesse.
Il ne faut pas avoir peur de douter. Le doute n’est pas un frein, c’est un moteur. Il pousse à chercher mieux, à ne pas céder à la facilité et à la redondance. Il faut faire le choix de rester libre et imaginatif. Loin des tendances répétitives.
A+E // Qu’avez-vous à dire aux jeunes architectes diplômés à l’étranger qui hésitent à rentrer exercer au Maroc ?
Z. S. : Le choix n’est jamais simple, mais il doit être porteur de sens. Revenir, ne signifie pas renoncer à ce que l’on a appris ailleurs, c’est au contraire, choisir de mettre ce savoir au service d’un territoire qui est le nôtre.
C’est chercher à construire ici avec ce que l’on a reçu là-bas et surtout l’adapter au contexte marocain.
Exercer au Maroc, c’est accepter des mentalités diverses, des lenteurs administratives, des retards injustifiés… c’est un défi quotidien d’une architecture de terrain, engagée et vivante.
Il y a un potentiel immense : beaucoup de territoire à réinventer et des besoins profonds en attente de réponses audacieuses.
A+E // Quel changement majeur pensez-vous qu’il serait nécessaire de faire dans le domaine de l’architecture au Maroc ?
Z. S. : L’un des changements majeurs à opérer est, sans doute, la revalorisation du sens et de la place de l’architecte dans le processus de construction.
Souvent relégué à un rôle d’exécutant ou réduit à une signature formelle, l’architecte devrait retrouver sa fonction première : celle de médiateur, de créateur et de visionnaire indispensable.
Garant d’une vision à la fois technique, esthétique et innovatrice. Cela suppose de redonner à la démarche architecturale du temps, de la considération et de la liberté. Mais cela implique aussi une réforme en profondeur des mécanismes de commande publique, en toute transparence, pour encourager les jeunes praticiens.
SANS TRANSITION :
A+E // Le métier d’architecte en une couleur ?
Z. S. : Gris ardoise : entre ombre et lumière !
A+E // Le métier d’architecte en une citation ou proverbe ?
Z. S. : « There are 360 degrees, so why stick to one ? » Zaha HADID (« Il y a 360 degrés, alors pourquoi se limiter à un seul ? »)
A+E // Si l’architecture était un son ou une mélodie, lequel choisiriez-vous ?
Z. S. : “Experience” – Ludovico Einaudi
A+E // Le métier d’architecte en une émotion : laquelle vous vient en tête ?
Z. S. : Fierté ! La fierté indirecte de laisser une trace esthétique.
A+E // Si vous deviez décrire l’architecture avec un parfum ou une odeur, lequel serait-il ?
Z. S. : « Terre d’Hermès » – Hermès
A+E // Quelle saison représente le mieux l’architecture selon vous, et pourquoi ?
Z. S. : L’été, cela révèle la matière sous son meilleur soleil !
A+E // Le métier d’architecte en un poème : lequel choisiriez-vous ?
Z. S. : Paul Valéry (dans “L’architecture”) : « L’architecture est le grand jeu magnifique de formes assemblées dans la lumière. »
A+E // Pour vous, l’architecture, c’est avant tout… ?
Z. S. : ….mon terrain de créativité.
Propos recueillis par Yasmina Hamdi


                                    
