À Casablanca, un projet d’envergure s’apprête à redonner vie à l’un des joyaux patrimoniaux de la ville : l’Institut Cervantes. Plus qu’une simple réhabilitation, il s’agit d’une renaissance pour cet édifice emblématique, précieux témoignage de la présence culturelle espagnole au Maroc.
Érigé en 1934 et signé par les architectes Luis Blanco Soler et Rafael Bergamín Gutiérrez, le bâtiment de la rue d’Alger, avec ses deux étages et son sous-sol, représente l’architecture espagnole moderne dans toute sa sobriété. Aujourd’hui, fragilisé par le temps, il s’apprête à entrer dans une nouvelle ère grâce à une restauration ambitieuse prévue entre 2024 et 2026.
À l’issue des travaux, le site offrira plus de 2 300 mètres carrés d’espaces intérieurs, complétés par près de 1 000 mètres carrés de jardins, de cours et d’espaces ouverts. Pensé comme un lieu vivant et inclusif, le nouveau Cervantes abritera des espaces administratifs, une bibliothèque, une salle polyvalente, une douzaine de salles de classe, ainsi que des lieux de rencontre comme une cour intérieure, un café littéraire ou encore des jardins propices à la détente, aussi bien pour le personnel que pour le public.
L’intervention vise avant tout à préserver l’âme historique du bâtiment. La rénovation permettra de retrouver la silhouette originelle en U, en éliminant les ajouts qui avaient altéré sa pureté formelle et constructive. Les murs immaculés, les menuiseries en bois, les portes et fenêtres d’époque, aujourd’hui masqués ou transformés, seront restaurés pour recréer le dialogue subtil entre intérieur et extérieur, principe fondamental de la conception d’origine.
L’aménagement intérieur sera entièrement repensé pour accueillir les nouvelles activités culturelles de l’Institut. Au rez-de-chaussée, la bibliothèque côtoiera une salle polyvalente, une cafétéria, des ateliers et des bureaux, tandis que le premier étage sera réservé aux salles de classe et aux espaces destinés aux enseignants. Les anciennes portes, ouvrant autrefois sur la cour et l’église du Sacré-Cœur, seront remises en valeur, offrant la possibilité de prolonger l’expérience culturelle en plein air, dans des zones dédiées à la lecture ou à la contemplation.
Le projet ambitionne aussi de tisser des liens plus étroits avec le tissu urbain de Casablanca. La cour centrale, jusqu’alors enclavée derrière un mur opaque, s’ouvrira à la ville grâce à une clôture transparente, accueillant désormais événements et manifestations culturelles. Le bâtiment s’ouvrira également vers le parc voisin de la Ligue arabe, créant une respiration nouvelle dans le paysage urbain et renforçant l’intégration harmonieuse de ce patrimoine dans la vie contemporaine de la cité blanche.
À travers cette métamorphose, l’Institut Cervantes entend demeurer un lieu de mémoire, tout en devenant un espace tourné vers l’avenir, vibrant et ouvert à tous ceux qui souhaitent explorer le dialogue entre culture, architecture et modernité.
FICHE TECHNIQUE DU PROJET
| Maître d’ouvrage : | Instituto Cervantes |
| Projet exécuté par : | TRAGSA |
| Architectes : | Société d’architecture Kollectif A SARL / Omar Alaoui |
| Bureau d’architecture en Espagne : | Jesús Ulargui Agurruza, Ulargui Estudio s.l.p. |
| Entreprise de construction : | Rio Engineering |
| Echéance : | 2025 – 2026 |
UN CERVANTES POUR LE 21ÈME SIÈCLE
La rénovation physique du bâtiment sera l’occasion de retrouver la mémoire de l’espace et d’ouvrir une réflexion collective sur le rôle de l’Instituto Cervantes au XXI ème siècle : un institut plus ouvert, flexible, durable, inclusif et technologiquement avancé, en phase avec les défis actuels de l’enseignement de l’espagnol et du dialogue interculturel. En 2023, un processus participatif avait été lancé avec la collaboration du collectif espagnol « elii », qui a impliqué les enseignants, les étudiants, le personnel et les collaborateurs culturels du centre. Le résultat de ce processus a été la conception d’un programme de besoins qui transformera l’Instituto Cervantes de Casablanca en :
Une référence de prestige dans l’apprentissage, l’enseignement et la certification de l’espagnol comme langue étrangère.
Un lieu de promotion des valeurs de la culture espagnole autour de la démocratie, du multiculturalisme, de l’inclusion et du multilinguisme.
Une enclave ouverte au jeu, à la participation, à la mémoire et à la citoyenneté.
Un point de rencontre et de dialogue interculturel intégré à la ville.
UN BÂTIMENT AVEC UNE HISTOIRE, UNE IDENTITÉ ET UN FUTUR
La réhabilitation du bâtiment qui abrite aujourd’hui l’Instituto Cervantes à Casablanca est basée sur la reconnexion du bâtiment avec sa mémoire : avec les usages, les significations et les événements qui l’ont marqué au fil du temps.
LA COMMUNAUTÉ ESPAGNOLE DE CASABLANCA, L’ENSEIGNEMENT PUBLIC ET LE RATIONALISME ESPAGNOL
Au début du XXème siècle, Casablanca a attiré des milliers d’Espagnols à la recherche de meilleures conditions de vie, ce qui en a fait l’une des principales communautés espagnoles d’Afrique du Nord. En 1914, les Espagnols étaient environ 10 000, soit près de la moitié des Européens vivant dans la ville.
En raison de l’importante présence espagnole, le gouvernement de la Seconde République espagnole (1931-1939) a encouragé la création d’une école espagnole à Casablanca, dans le cadre de la réforme visant à développer l’enseignement public.
En 1929, les architectes Luis Blanco Soler (Madrid, 1896-1988) et Rafael Bergamín Gutiérrez (Malaga, 1891-Madrid, 1970) ont été chargés de concevoir le consulat d’Espagne à Casablanca et deux groupes scolaires : l’un à Tanger et l’autre à Casablanca. Ce dernier, connu sous le nom de Mission culturelle espagnole Tirso de Molina, est aujourd’hui le siège de l’Institut Cervantès.
L’architecture du groupe scolaire est basée sur des principes rationalistes : fonctionnalité, clarté formelle et adaptation climatique. En contraste avec le style historiciste dominant, le bâtiment introduit une esthétique moderne, austère et sensible à l’environnement.
L’œuvre a réuni les idéaux pédagogiques régénérationnistes de l’Institut Libre d’Enseignement et l’architecte espagnol Antonio Flórez, connu pour sa conception de la Residencia de Estudiantes à Madrid, une institution emblématique de l’avant-garde espagnole au cours du 20ème siècle. L’école espagnole de Casablanca était, en ce sens, une pièce maîtresse de l’héritage du rationalisme moderne espagnol dans la ville.
MÉMOIRE ÉDUCATIVE : DE LA MISSION CULTURELLE TIRSO DE MOLINA À L’INSTITUT CERVANTES
L’école primaire Tirso de Molina a commencé à fonctionner en octobre 1935, se consolidant dès les premières années comme un centre de grand prestige. Il s’agissait d’une école d’une capacité de 200 enfants, située dans l’un des meilleurs quartiers de la ville, à proximité de la cathédrale. Le bâtiment se composait de deux étages qui abritaient les salles de classe, une bibliothèque, une cuisine, des toilettes, une grande salle à manger, ainsi que des terrasses pour l’exercice physique.
L’école est un représentant de la politique éducative espagnole au Maroc, qui se distingue par l’introduction de méthodes éducatives plus scientifiques et rationalistes, d’exercices physiques et de l’enseignement hispano-arabe.
En 1985, les 304 élèves et les 15 professeurs de l’école Tirso de Molina ont été transférés à l’Institut Juan Ramón Jiménez de Casablanca.
À partir de ce moment, le bâtiment a assumé de nouvelles fonctions, devenant le siège du Consulat d’Espagne et de l’Institut Cervantes de Casablanca. Cette transformation a permis de conserver son caractère éducatif et culturel et de réaffirmer ses liens étroits avec la ville.
