Sophia Sebti a eu la chance d’être suivie par l’Anglais Ben Nicholson pour son mémoire de fin d’études concernant l’espace de Jérusalem et l’impact du temps repris en volume. De l’Institut de technologie de l’Illinois à Chicago, elle retourne à Casablanca où elle travaille à mi-temps et gamberge le reste du temps notament dans l’équipe des amis des anciens abattoirs.
Le temps et l’espace prédéfini en architecture sont deux éléments interdépendants, mais difficilement représentés simultanément, car les effets du temps sur un espace sont souvent irréversibles. Le temps apporte aussi son impact sur les matériaux de construction, par exemple le cuivre vire de l’orange au vert à travers un phénomène d’oxydation. Le temps grignote la majorité des espaces construits et l’histoire est souvent l’unique recours pour retracer ce qui a pu exister dans un lieu particulier.
Inversement, un espace bâti peut affecter le temps ou l’histoire d’une communauté qui s’identifie à cet espace précis, puisqu’il lui permet de distinguer son enclave de celle des autres communautés.
Les hommes bâtissent pour délimiter un espace qui devient le leur en commençant par parcellariser les terres, construire une clôture, un mur ou encore un rempart. Les espaces sont divisés pour que les sociétés puissent se démarquer les unes des autres. Elles montrent ainsi leur appartenance à un groupe basé sur des principes religieux et/ou socioculturels. En examinant l’histoire et la géographie de la région de la Palestine et d’Israël, la thématique du temps et de l’espace ne cesse de ressurgir. La vieille ville de Jérusalem en est un exemple frappant. Cette dernière est un lieu où le temps et un seul et même espace cohabitent sur une période de plus de quatre millénaires et une surface de moins d’un kilomètre carré. Jérusalem, une ville dite trois fois sainte, a été conquise, attaquée, détruite et reconstruite indéfiniment. Les quatorze principaux remparts construits chronologiquement pour délimiter cette vieille ville symbolisent l’acharnement des civilisations pour la conquête de cet espace où les trois religions du Livre cohabitent encore à ce jour. Superposer ces quatorze remparts qui ont délimité Jérusalem sur un même espace permettrait de mettre en lumière la ténacité de ces communautés à vouloir toutes habiter et parfois cohabiter précisément dans ce lieu saint. Cette superposition de remparts sur un même plan résulte d’un phénomène d’astigmatisme du temps et de l’espace qui illustre la grande ambiguïté de cette région du monde.
Afin de concrétiser la simultanéité du temps et de l’espace, il serait attrayant de reconstruire un segment de cette superposition de remparts dans le but de rendre hommage au passé et permettre aux générations futures de mieux comprendre l’histoire de leurs ancêtres. Pour encourager une entente, bien qu’utopique, de tous les croyants des trois religions du Livre, cet espace pourrait être utilisé telle une école trilingue où les enfants du futur pourraient apprendre conjointement l’hébreu, le latin et l’arabe, accolée à un espace de détente aquatique. Situé dans le sud-ouest de la vieille ville, le mont Sion serait un endroit propice pour abriter cette école trilingue grâce à l’existence de l’église de La Dormition, de la piscine de l’amphithéâtre du sultan et du tombeau du roi David qu’on cherche encore aujourd’hui. Doté d’une topographie dénivelée, le mont Sion, où il conviendra de faire table rase des conditions physiques existantes du site, abriterait la reconstruction de cinq des quatorze remparts historiques. Chaque rempart symbolisera la cicatrisation du passé et l’espoir du futur. L’école aux murs inspirés des désuets remparts reçoit les enfants du troisième millénaire pour leur apprendre simultanément les trois langues, trois histoires, trois géographies, et donc trois perspectives de la région de π [PI= Palestine- Israël]. Et ce ne sera réalisable que grâce à l’innocence et au non-vécu du jeune âge de ses écoliers. Rebâtir ces remparts a pour but de réconcilier les générations futures en infusant un parfum de paix dès le début de leur croissance.
De ce fait, l’école trilingue et son point d’eau représentent à la fois un lieu d’enseignement et de détente, mais plus fondamentalement un mémorial attribué à ces civilisations qui ont vécu à Jérusalem pour clore la coïncidence du temps et de l’espace dans une seule et unique architecture.