Patrick Collier est arrivé en 1969 à Agadir, pour un stage de quelques semaines. L’étudiant diplomable en architecture à l’UP6 est tombé sous le charme de la ville et a fini par acheter l’agence pour laquelle il travaillait. Le concours du siège de l’OCP, remporté en 1974, le propulse à Casablanca. Entretien avec un architecte, passionné de cuisine, qui prône une architecture modeste.
A+E // Dans quelles conditions êtes vous arrivé au Maroc ?
Patrick Collier // Je suis arrivé à Agadir pour travailler, une dizaine d’années après le tremblement de terre de 1961. Tout était déjà reconstruit, ou presque. J’ai terminé certains projets : l’agence dans laquelle j’étais venu travailler avait encore en charge un secteur du nouveau Talborjte, un très beau quartier avec des commerces, des arcades et des passages couverts… L’ensemble était d’une facture contemporaine, avec des logements à patios où j’ai eu l’extraordinaire chance d’habiter. Je viens d’apprendre que cet ensemble a obtenu l’autorisation pour la construction d’un étage supplémentaire. On est en train de mettre fin à une belle expérience…
A+E // Considérez-vous l’architecture d’Agadir comme une réussite ?
P.C. // Oh que oui ! A mon sens, les meilleures choses qui ont été faites à Agadir sont aussi les plus humbles. Pour moi, la grande réussite d’Agadir, c’est le Talborjte. Il a fait d’Agadir une vraie ville contemporaine, avec une véritable pratique urbaine.
A+E // Connaissez-vous les circonstances du passage du Corbusier à Agadir, après le tremblement de terre?
P.C. // Je sais surtout qu’il avait rencontré le prince héritier Hassan II. Le prince a dit au Corbusier : « vous pouvez faire toute la ville que vous voulez, il n’y a pas beaucoup de contraintes, sauf qu’au centre de la ville il doit y avoir une mosquée et que sur cette mosquée il doit y avoir des arcades ». Sur ce, le Corbusier a plié ses cartons!
A+E // Finalement, à quoi ressemble l’architecture d’Agadir ?
P.C. // Les architectes qui ont reconstruit Agadir sont allés au Japon et se sont largement inspirés de son architecture. Ils ont pris beaucoup de photos et ont recopié les mêmes détails. Je trouve que c’est une architecture de grande qualité. La façon de dessiner un banc, celle de mettre à nu des poutres… : tout le mobilier et l’immobilier urbains sont inspirés de l’architecture japonaise.
A+E // Dans quel courant vous situez-vous, et avez-vous un maitre en architecture ?
P.C. // En architecture, je n’ai pas de maitre à penser. Je suis le produit de courants mul-tiples qui ont façonné ma manière de réfléchir. J’ai accompli mes deux dernières années d’études à Vincennes, entre les géographes communistes, les psychanalystes de l’école Lacanienne et les biologistes, comme Henri Laborit, qui m’a beaucoup marqué ! Sinon, je suis un architecte fonctionnaliste qui aime construire des bâtiments « qui marchent » et qui ne sont pas trop chers !
A+E // C’est le concours du siège de l’OCP qui a lancé votre carrière et qui a été à l’origine de votre installation à Casablanca ?
P.C.// Le télégramme m’annonçant que j’avais gagné le concours est arrivé le 24 décembre 1974, comme un cadeau de Noël. Karim El Amrani m’a dit : « Il faut que tu viennes t’installer à Casa pour suivre mon projet ». Je lui ai répondu que je n’étais pas autorisé à m’y m’installer. Sur ce, il m’a rétorqué : « au Maroc, on n’a jamais rien fait sans une phase d’illégalité, alors tu vas t’installer tout de suite et on régularisera les choses après! » Un peu plus tard, j’ai reçu un courrier officiel du Secrétaire Général du Gouvernement m’autorisant à exercer partout au Maroc.
A+E // Et c’est ce qui vous a rapproché de Casablanca ?
P.C. // J’estimais que les années de gloire de l’architecture à Agadir tiraient à leur fin. Les constructions démarrées dans les années ‘70 étaient terminés et le développement touristique n’avait pas encore démarré.
A+E // Que pensez-vous de cette architecture actuelle qu’on appelle « architecture objet » ?
P.C.// Moi j’appelle ça de l’architecture spectacle. Quand on fait une tour en forme de suppositoire, on est dans le spectacle. Les Espagnols ont beaucoup d’humour, ils appellent la tour réalisée par Jean Nouvel « El Concelador ». La forme est vraiment celle d’un godemichet ou d’un vibromasseur ! Je pense que c’est le contraire de ce que doit être l’architecture. L’acte d’architecte doit être humble et modeste par rapport au site.
A+E // A qui la faute ?
P.C.// Les médias encensent certains architectes qui, forts de leur notoriété, se permettent de poser ces gestes faciles et brutaux. Prenons l’architecture des musées : le Musée Guggenheim, à Bilbao, est un anti-musée, c’est-à-dire un objet devenu plus important que le contenu. C’est le comble, puisque le rôle du musée est normalement de mettre en valeur les pièces qui y sont présentées, pas le contraire. Aujourd’hui, par exemple, tout le monde se met à la double peau. On met une espèce de crépinette autour des façades !
A+E // A propos de crépinette, vous cuisinez ?
P.C.// Plein de choses. Il y a un certain nombre de plats que je sais bien faire, comme le gigot de mouton à la romaine : un gigot, mariné dans du citron, de l’huile d’olive et du romarin. Je réussis assez bien la bouillabaisse, la choucroute et le coq au vin. Je cuisine les œufs de poisson suivant une recette typique que m’a apprise une juive marocaine. Je me suis donné énormément de mal pour apprendre à cuire le foie gras et j’y suis arrivé. Je prépare aussi des confitures … La cuisine ma passionne.