Arrêtez de comparer vos projets à des bébés !

Ceci est un billet d’humeur : un article sérieux, objectif et non humoristique sur un sujet relevant d’un intérêt général.

Les architectes ne manquent pas de mots et d’expressions pour flatter leurs projets, traduire des concepts spatiaux et défendre l’indéfendable. Si le discours est leur fort, souvent ils en abusent : lyrisme exalté, romantisme déplacé, métaphores usées à tort et à travers. A force de s’improviser poètes, parfois leur langage les dépassent. Pourtant, un bâtiment n’est qu’un bâtiment. Un architecte n’est qu’un architecte, ni un sauveur du monde, encore moins un poète de génie.
Comparaisons, analogies, parallélismes forcés : les architectes n’en manquent pas pour personnifier leurs projets. On les voit souvent par exemple, comparer leurs projets à des progénitures. « Mon projet, c’est mon petit bébé », « Ah ce projet ! J’aime tous mes enfants mais celui-ci est mon favori » Combien de fois n’a-t-on pas entendu ces phrases sortir en école d’architecture, en agence ou dans une discussion entre amis (dont il faudrait peut-être penser à s’éloigner dorénavant)?
Si il y a un bien une chose à laquelle on ne devrait pas comparer un projet d’architecture, c’est bel et bien un bébé. Mais qui lui est venu à l’esprit l’idée de comparer du béton et des armatures à un nourrisson ? 
D’abord, en plus d’être infantilisante, niaise et totalement risible, la métaphore de la naissance ne correspond tout simplement pas. Il s’agit de deux processus entièrement différents. Un projet ne tombe pas du ciel, par volonté divine : il voit le jour à coups de charrettes. Tous les projets ne naissent pas libres, et tous les projets ne sont pas égaux. Un projet, une fois construit, ne nous appartient plus. 
Comparer son projet à un bébé, çà serait aussi nier le rapport amour-haine qui fonde la relation entre l’architecte et son projet. L’inévitable sentiment de dégoût. Le désir (et la possibilité) de le froisser. L’impression de l’avoir trop vu. L’envie irrépressible de le défigurer. 
Cette métaphore, en plus d’être maladroite, est loin d’être inoffensive et peut causer une véritable détresse psychologique. Alaa, architecte fraîchement diplômée, témoigne : « Dès la première année à l’école, on nous parle d’un lien spécial et magique qu’il faut entretenir avec nos projets. « Vos projets, ce sont vos petit bébés », nous dit-on. Les années d’études s’enchaînent, et pourtant jamais je n’éprouve ce ressenti. J’ai passé 9 mois à porter mon projet de fin d’étude, toujours rien : aucun instinct maternel ne s’éveille en moi. Parfois, je me dit que je suis peut-être passée à côté de quelque chose, que j’ai raté ma vocation ».
Dans le milieu professionnel, il se murmure aussi, de bouche à oreille, qu’un immeuble aurait un jour parlé. Ses paroles indéchiffrables ressembleraient à des lamentations, suite à l’humiliation régulière que lui subirait son créateur en l’appelant « mon bébé ». Toutefois, la source d’information n’est pas sure et reste à vérifier. 
Finalement, dans cette expression, il est peut-être question seulement d’instinct maternel/paternel, innés pour certains, jamais acquis pour d’autres. Mais la liste des métaphores toutes aussi douteuses et dérangeantes ne s’arrête pas là. Il y a aussi les villes que l’on compare régulièrement aux femmes, les ouvertures des bâtiments que l’on compare aux orifices du corps… Alors, par pitié, trouvez des métaphores plus justes, ou n’en faites plus du tout. 
Et surtout, ne me pendez pas pour cet article, ce n’est plus mon bébé mais le votre dorénavant.

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