Chronique de l’universalité d’Essaouira

« Ceux qui passent à Mogador, saisis par l’apparition à demi irréelle de la cité blanche qui dresse ses hautes maisons au-dessus d’une ceinture de remparts crénelés, bientôt envoûtés par le charme unique de cette ville où l’Europe et l’Islam, l’Atlantique et l’Orient se sont unis dans une étrange et merveilleuse réussite. » H. Terrasse

Européens, Danois, Anglais, Français, Italiens ont participé à l’édification de la nouvelle ville d’Essaouira au XVIIIe s. sous la houlette du sultan Sidi Mohammed Ben Benabdellah à partir des ruines du château de l’ancienne Mogador. L’historienne Mina El Mghrari, auteur d’un ouvrage incontournable sur Essaouira, raconte comment le sultan organisait l’ouverture de la cité sur le monde grâce au négoce portuaire, à l’artisanat et à la maîtrise urbaine et architecturale.

Mogador, plus connue aujourd’hui sous le nom d’Essaouira, est située sur la côte Atlantique, au sud-ouest du Maroc, dans la région de Haha. La ville d’Essaouira, ex-Mogador, s’élève sur une pointe rocheuse. Grâce aux contours de ses rivages, une rade naturelle présentant des profondeurs assez importantes permet un accostage sûr durant toutes les saisons de l’année.

Elle se trouve ainsi « entourée d’un double océan constitué d’eau et de sable ».

Mogador/Essaouira est beaucoup plus connue comme cité-port du sultan alaouite Sidi Mohammed ben Abdallah (1754-1790), car la grande partie bâtie de la ville actuelle date de la reconstruction du sultan entre 1760 et 1764.

En effet, c’est ce sultan qui a relevé l’ancien château Mogador de ses ruines, l’a agrandi pour en faire un important port de commerce avec l’Europe. Pour sa résidence dans la région de Diabet, appelée Dar Al-Baïda (maison blanche), Sidi Mohammed employa un maâlem marocain. Pour l’alimentation en eau, il fit appel à l’architecte Hadj Mohammed al Souiri, bien d’autres artisans sont venus de Fès, d’Agadir… La cité-port de Sidi Mohammed Ben Abdallah était rapidement dotée d’un chantier naval et de fortifications sur ses façades maritimes. « Un quartier du Roy » avait été réservé par le sultan pour y aménager une administration makhzénienne. À travers les épîtres sultaniennes et les différentes notes des diplomates, on comprend l’objectif de cette reconstruction. Poussé par une volonté de politique d’ouverture vers les pays occidentaux, le sultan était en train de créer une marine d’État. Le sultan avait eu recours à des ressortissants de plusieurs nations. L’aménagement et la reconstruction de la nouvelle ville ont été confiés à des techniciens, architectes et ingénieurs européens. Ainsi, par ordre du roi Frederick V, arrivait à Marrakech avec Host, agent de la compagnie africaine danoise et vice-consul à Mogador ainsi que Wilhelm Schroeder, auteur de la maison danoise. L’architecte danois

Schroeder était le chef d’une commission d’artisans demandée par le sultan Sidi Mohammed ben Abdallah au roi Frederick V après la signature du traité de paix de 1753. Schroeder est cité également comme entrepreneur1. Il était accompagné de Lambrecht, le tailleur de pierres et de Dendas, le peintre.

Le roi d’Angleterre avait également envoyé un ingénieur et quelques charpentiers. À Cornut, cet ancien dessinateur des fortifications du Roussillon, il confia les fortifications maritimes, mais c’est un ingénieur génois plus célèbre sous le nom d’Ahmed al Alj, qui les terminera. Nous rencontrons aussi des noms d’ouvriers d’art, ici et là dans certains écrits, comme Boisselin, Petrobelli, Pietro Muti…C’est ainsi qu’il encouragea les négociants européens à construire leurs filiales dans la ville. Les maisons des consuls étaient enserrées à l’intérieur des murailles de la casbah déjà existante.

Son rayonnement tenait en grande partie aux riches négociants juifs « Tujjar al Soultane » installés, dès sa création, par le sultan Mohamed ben Abdallah. Les juifs étaient commerçants, intermédiaires économiques et politiques ou représentants consultants des puissances étrangères.

La ville a donc été conçue pour être un espace commercial par excellence. Hormis les fortifications et les édifices religieux, la médina d’Essaouira abrite un certain nombre de maisons, d’espaces commerciaux, qui conservent toujours l’aspect traditionnel originel. Ils constituent un important témoignage de la coexistence de plusieurs confessions qui a apporté, dans le passé une contribution importante au développement économique et culturel de la cité.

Cette coexistence culturelle se reflète dans les constructions où l’on retrouve des éléments de l’architecture marocaine et de l’architecture classique européenne.

Le premier consul à s’y installer était le Danois Barisen. Selon une lettre du sultan datée de janvier 1765, le modèle urbain exigé par le sultan devint une source d’inspiration pour les maisons des représentants d’autres nations européennes.

Dès lors, la ville d’Essaouira vit la création d’un paysage urbain qui répond à de nouveaux besoins socioéconomiques. La construction d’une maison n’est plus l’affaire d’un maâlem bnay (maître-maçon) qui travaille en étroite collaboration avec le futur habitant. Elle devient un domaine d’expertise technique et esthétique façonné par un nouveau style de vie. Mogador vécut pendant plusieurs années des chantiers de construction et de reconstruction.

Maisons spacieuses, hautes, avec de très belles façades rythmées par des hublots et de grandes ouvertures. Dès 1860, on passe à la maison structurée verticalement. La maison souirie devient progressivement immeuble collectif à 2 et 3 niveaux.

Les maisons des commerçants étrangers sont spacieuses en étage, et comptent de huit à dix pièces carrées ou en longueur, ouvertes sur une galerie giratoire intérieure qui fournit au centre de la maison un espace approprié pour effectuer les transactions et pour entreposer des marchandises…

Ainsi, le patio, qui a un rôle important dans l’organisation spatiale de la maison, sur lequel toutes les pièces s’ouvrent, n’est plus seulement une source d’air et de lumière ou cet espace féminin par excellence, mais surtout un espace commercial de grande importance : lieu de tri, de stockage et de grandes transactions.

La façade devient plus attractive. Si les moellons sont utilisés pour la construction, la pierre de taille, elle, est employée avec le plus grand soin. Plus la maison est luxueuse, plus les entrées principales sont décorées. L’homogénéité des façades permise par l’utilisation de la chaux blanche est accentuée par l’emploi de la pierre de taille. Certaines façades présentent des assises horizontales décoratives formant une saillie de quelques centimètres sur le nu du mur. L’ouverture de la maison n’est plus l’entrée discrète à usage privé, c’est l’ouverture d’un espace commercial, pierre de taille, bois peint en bleu Mogador parfois clouté, heurtoirs… en font un élément attrayant.

Le souk al Jadid et son expansion forment de beaux monuments. On y accède par une porte monumentale surmontée d’un arc plein cintre. Les claveaux sont composés de pierres taillées. La porte s’ouvre d’abord sur la continuité de l’axe Haddada qui se termine à la porte de Doukkala.

Il s’agit d’un espace carré à cour découverte autour duquel sont aménagées des galeries bordières dont les arcatures en plein cintre sont portées par des colonnes de pierres taillées.

Les tiraz (ateliers de tisserands) occupaient les boutiques qui s’ouvraient sur les galeries qui bordent la rue des deux côtés. Tout autour se répartissent des marchés annexes, avec une division classique par spécialité : la jutiyya (brocantes), le souk al ghzal (marché de laine), le souk de rahba ou rahbat zraa (place des grains), souk el malha (marché du sel) et les bouchers (juifs et musulmans) situés à l’extérieur de ses murs.

La jutiyya de Mogador est un marché fermé à ciel ouvert. On y accède par une baie intégrée dans les boutiques de tissus de Souk al Jadid. Un couloir de plan rectangulaire sur lequel s’ouvrent des petites cellules permet d’accéder à une grande cour. Cette dernière est bordée de portiques. Des colonnes de pierres supportent les toits des galeries bordières sur lesquelles s’ouvrent les petites échoppes semblables à celles de la Rahba (place des grains). Vingt-sept boutiques se répartissent autour de la cour. Elles s’ouvrent par de petites portes rectangulaires, leur seule source de lumière et d’aération.

Les boutiques de Souk el haddadine (ou Haddada) s’organisent sur la grande artère allant de Bab Sbaa à Bab Doukkala.

C’est le plus grand souk de la ville qui s’organise tout au long d’une rue de 15 mètres sur 2 kilomètres. Il est appelé par certains voyageurs le « Broadway » du Maroc. L’importance de cette artère est attestée par la présence de plusieurs espaces commerciaux de grandes dimensions.

Ils sont composés de grands magasins ponctués de fondouks et de zawiyas.

Le souk Haddada est impressionnant par ses dimensions et la grandeur de son architecture.

Ce qui reste des centres commerciaux de Mogador (souks, qayssariyas…) constitue des témoignages d’un passé « glorieux ». Le décor est actuellement un peu défraîchi, les grandes arcades de pierres sont envahies par l’humidité, les animaux ont disparu et les ballots ne sont plus que quelques caisses contenant des produits de consommation locale. Plus besoin de fondouks, d’entrepôts, ni de chargeurs arpentant les rues. Les tiraz et les siaghines n’ont plus rien à proposer. Seul le travail sur bois constitue encore un lien entre le passé et le présent.

Le défi serait de développer autour de ce patrimoine des méthodes d’appréciation, des critères qui favoriseraient l’épanouissement de la ville dans sa diversité.

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