Confession, d’une nouvelle pèlerine

Je me souviens 5 ans auparavant où je me trouvais à Tanger pour mon premier voyage au Maroc. A cette époque je ne connaissais guère le pays et les régions du sud étaient encore, pour moi, une destination inconnue. Mes amis m’ont parlé qu’un festival de musique gnaoua, musique du monde allait prochainement s’organiser à Essaouira. Mon attirance pour la musique africaine provoquait en moi une énorme envie de le découvrir, mais malheureusement je n’ai pas pu m’y rendre, les dates du festival correspondant à mon départ. Depuis, j’espérais, chaque année, pouvoir y aller. Il a fallu que je patiente 4 ans pour enfin y assister et découvrir ce festival qui est devenu une légende pour le Maroc. Onze ans déjà que des milliers de personnes fêtent la tradition authentique, un véritable retour aux sources. J’ai enfin pu me rendre compte des témoignages que j’avais récoltés tout au long de ces années. Il n’y a aucun doute, le festival d’Essaouira a su gagner le coeur de milliers d’amoureux de la musique, venant des quatre coins du globle, tous présents pour la même chose : retrouver un esprit de communauté où ils peuvent partager des émotions à travers un dénominateur commun qu’est le chant gnaoua. Certains touristes étrangers en ont même fait leur destination vacances.

Je pénètre dans la ville et je découvre Essaouira métamorphosée en un lieu festif habillé des couleurs gnaoua, prête à accueillir des milliers de jeunes passionnés, assoiffés de faire l fête, impatients de pouvoir se lâcher et être totalement libre de vibrer durant quatre jours. Pour bon nombre d’entre-eux, ils n’ont pas eu cette chance, comme moi, de découvrir le festival dans le luxe et le confort. La plupart ont dû épargner durant des mois pour se payer leur séjour. Guitare, tam tam à la main, ils ont fait plusieurs centaines de kilomètres en bus, train, taxi ou ils se sont entassés à 6 ou 7 dans la voiture d’un copain… « Tous les moyens sont bons, du moment que nous arrivons à destination et pouvons vivre nos émotions », me confient certains d’entre-eux. Alors que nous sommes accueillis en grande pompe dans le cadre de notre profession, ils s’empressent, eux, de gagner leur appartement ou chambres qu’ils ont loués. Certains s’installent sur la plage et s’improvisent des chambres à la belle étoile afin de vivre à la « hipies » façon « Woodstock », libres de faire la fête sans contrôle, sans s’imposer de limite et réaliser leurs envies les plus délirantes. Pendant que le public s’installe, les terrasses des établissements les plus primés se préparent pour accueillir les invités VIP des soirées organisées par les sponsors du festival. Je découvre alors une Essaouira Jet-Set et je fus assez surprise car l’ayant toujours connue en dehors de ces festivités comme une ville avantgardiste et conservatrice d’un esprit « carrefour des cultures, libre d’expression », je m’imaginais une ambiance plus « baba cool » Jeudi 26 juin 2008, le coup d’envoi est lancé par un cortège inaugural traversant sereinement la haie d’honneur constituée par la foule et les musiciens prêts à se prêter au jeu du festival et à son concept unique de fusionner des musiques traditionnelles oubliées avec les meilleurs musiciens venus des quatre coins du monde.

Ce sont alors des poignées de main chaleureuses qui se succèdent aux accolades d’une population pleine de reconnaissance et d’émotions. Les locaux en sont fiers et la majorité sont conscients des retombées bénéfiques de cette manifestation sur le plan social et son impact sur le développement économique de la région. « Carrefour et espace de rencontres, cet événement incarne l’ouverture du Maroc nouveau et démocratique sur les différentes cultures », ajoute, lors de son discours, Mme

Touria Jabrane Kryatif, ministre de la Culture.

Ce sont aussi des retrouvailles qui offrent l’occasion de se rencontrer et de nouer de nouveaux contacts. Cette manifestation permet également aux mâalems d’échanger leurs expériences respectives et de s’ouvrir sur les autres cultures et musiques à travers des fusions avec des musiciens de renommée internationale. Perçus il y a quelques années encore comme des « mendiants » ou des amuseurs publics, les gnaoua sont aujourd’hui considérés, à juste titre, comme des artistes à part entière qui ont fait leur place sur les scènes nationales et internationales. « On répète même : les esclaves d’hier sont les seigneurs d’aujourd’hui, comme si Dieu avait exaucé leurs voeux après tant de prières (refrain : al âfou ya moulana seigneur acquittes nous). »

Je découvre alors un Festival Gnaoua devenu le rendez-vous de tous les mélomanes et les pèlerins. Il décline, durant quatre jours, un esprit unique autour d’un patrimoine, d’une spiritualité des gnaoua du Maroc et des rencontres musicales internationales. Dix lieux de concerts, dix programmations qui ont fait le bonheur de tous et qui, comme chaque année, relèvent le défi de faire vibrer des centaines de milliers de personnes sur les rythmes endiablés de la musique des musiciens Gnaoua, seuls ou en fusion avec des artistes internationaux réputés. Parmi ces derniers, je retiens le saxophoniste américain Wayne Shorter, comme son prédécesseur le défunt

Joe Zawenul, légende du jazz qui a animé un concert exceptionnel le vendredi.

Accompagné de son band, Wayne Shorter a jonglé à merveille entre le jazz, la pop ou encore le blues africain. Ces musiciens de génie ont invité l’audience à un concert en fusion avec le grand mâalem Omar Hayat sur la scène Moulay Hassan. Autre grand nom international du festival, Ky-Mani Marley a enflammé la scène Bab Marrakech le samedi dans un concert haut en couleur. Son style est unique. Il allie culture hiphop et raeggae véhiculant les valeurs que son père chantait : amour, paix, respect et unité. « J’ai été envoûté par cette ville d’Essaouira et ce festival qui prône les valeurs qui sont les miennes », avait il déclaré lors d’une conférence de presse.

Des concerts acoustiques, disséminés dans la médina, ont attiré des amateurs d’ambiances

plus intimistes ; des lilas (concerts rituels du soir à l’aube, servant à exorciser les malades ) ont fait le bonheur des puristes et les mélomanes ont eu droit à de la musique du monde. C’est donc un panaché de concerts qui a rassemblé, durant 4 jours, selon les organisateurs, plus de 400.000 personnes, qui a accueilli 550 artistes en provenance de 15 pays différents. Plus de 200 médias dont 70 représentants de médias internationaux, 12 chaînes de télévision et 13 stations de radio étaient présents dans cet immense studio à ciel ouvert qu’est la ville d’Essaouira.

Comme à chaque soir du festival, je m’amuse à regarder des milliers de spectateurs, d’âges différents, venus de tous les horizons pour partager cet amour de la musique. C’est assez impressionnant, cela me donne le vertige…

Assister à un tel festival a été pour moi une expérience inoubliable. A travers cette manifestation, unique au monde, j’ai pu découvrir une musique de paix, de non-violence rassemblant des milliers de personnes, marocaines ou étrangères, présentes pour un même dialogue, pour comprendre l’autre et pour créer des liens quelle que soit leur position sociale ou leur appartenance culturelle.

Deux mois plus tard, me revoilà au même endroit pour le Festival des jeunes talents.

Je retrouve une cité des Alizés prête à accueillir des milliers de festivaliers et vacanciers curieux de découvrir cette fois de jeunes talents, encore méconnus du grand public, prêts à s’affranchir pour affronter la foule et acquérir auprès des grands mâalems une expérience enrichissante.

Essaouira est un lieu de mémoire de l’histoire de la confrérie des gnaouas, organiser un tel événement est une opportunité pour les organisateurs de préserver ce patrimoine authentique tout en encourageant les jeunes des différentes régions du royaume à développer leur savoir-faire. Organisé depuis 5 ans par la Province, l’Association Essaouira

Mogador et la délégation de la culture, cette manifestation vient compléter le Festival

Gnaoua et musique du monde dans le but d’assurer la relève des Mâalems et d’inscrire le festival dans la durée en créant un « festival- école », un lieu de formation et de production culturelle. Des ateliers de formation sont alors organisés durant les quatre jours pour permettre aux jeunes de perfectionner leurs talents aussi bien au niveau technique qu’artistique.

Durant ces deux manifestations, j’ai découvert, chaque soir, un public en effervescence.

Devant des groupes de musiciens, qui m’étaient encore inconnus 5 ans auparavant, j’observais les passionnés vibrer, et laissais mon esprit et mon corps s’emporter par les notes de Gambrie et de tambours africains Gnaouis. Comme après chaque festival, la citée des Alizés occupée par les esprits de la danse et de la musique s’est vidée pour reprendre un rythme normal, prête à accueillir des milliers de nouveaux spectateurs pour un prochain événement. Le peuple marocain peut être fier d’avoir ces grands maîtres et grâce à ces acteurs et aux organisateurs de ces deux festivals, ils peuvent être sûrs que la relève sera assurée par des jeunes talents qui à leur tour deviendront des mâalems de renom et continueront à chanter des paroles rythmées, fortement enracinées dans leur culture séculaire, et continuer à exorciser le public et faire de moi une des nouvelles pèlerines.

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