Le goût de la vie

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C’est un éditorial particulier, un premier pas sans celui qui marchait à mes côtés, dans la vie comme dans ces pages.


Aujourd’hui, alors que ce numéro explore « L’œil mange », je ressens cruellement l’absence de ce regard lumineux, aiguisé, capable de goûter à tout – surtout à la vie. Mon père, cet architecte des mots et des saveurs, savait édifier des souvenirs dans la sapidité d’un plat, dans la rondeur d’un mot ou dans la chaleur d’un instant. Il cuisinait comme il vivait : avec une générosité éthérée et une passion incandescente.

Sans lui, la vie a un goût réfractaire. Elle se fait plus âpre, parfois crue, souvent amère. Mais il me souffle souvent à l’oreille : cherche les épices ! La vie, comme un plat, n’est jamais figée ; elle se compose et se déconstruit, elle se transcende au gré des saisons et des envies. Alors, je cherche. Je fouille dans la mémoire olfactive de nos moments partagés, dans l’ombre féconde de son héritage, pour retrouver ce goût si rare, si subtil : celui de l’essence même de la vie.

Car, au-delà de la perte et de son absence, il y a une leçon indélébile qu’il m’a transmise : il faut aimer la vie avec ferveur, la sentir, la goûter, même quand elle semble nous échapper. Dans chaque assiette, dans chaque effluve, il reste une trace de lui : une épice oubliée, un éclat, une vibration de joie ou de mélancolie.

Dans cette quête, je m’aperçois que l’architecture des espaces de gastronomie porte en elle l’écho profond de cette leçon. Ces lieux, plus que de simples cadres, sont eux aussi, des invitations à ressentir. L’architecture devient l’assaisonnement premier d’une expérience culinaire : elle guide les sens, réveille les émotions, et prépare les palais à la découverte d’un univers ; une invitation au voyage, à travers le monde. Elle construit des ponts entre les saveurs et les formes, entre l’art de vivre et la table.

Ce numéro est une ode à la vie et à ceux qui la subliment. À travers les lieux et les instants qu’ils créent, j’y vois un miroir de ce qu’il m’a appris : mettre tout son cœur dans ce que l’on crée et placer l’émotion au centre. Aujourd’hui, même sans lui, je continuerai à dresser cette table, où il reste et restera toujours une place inaliénable : la sienne.

On mange quoi Papa ?


Frou Akalay, rédactrice en chef

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