Noureddine Komiha et Wafaa Diouri Ayad forment un duo d’architectes passionnés, unis dans la vie comme dans leur pratique professionnelle. Diplômés de l’École Spéciale d’Architecture de Paris, ils ont fondé en 1982 l’agence Komiha & Diouri Architectes à Casablanca. Leur approche architecturale met un point d’honneur à conjuguer développement durable, respect du cadre bâti et bien-être des usagers, offrant ainsi des réalisations uniques et sur mesure.
Parmi leurs projets emblématiques figurent le Lycée d’Excellence de Benguerir (LYDEX) et le campus Honoris United Universities à Casablanca Finance City (CFC), qui accueillera les établissements Ecole Marocaine des Sciences et de l’Ingénierie (EMSI) et l’École d’Architecture de Casablanca (EAC) dans un environnement conçu pour favoriser l’apprentissage et l’innovation. Dans cette interview pour A+E Magazine, ils reviennent sur leur parcours, leurs influences et leur vision de l’architecture au Maroc et au-delà.


A+E // Parlez-nous de vos débuts en architecture et de ce qui vous a motivés à fonder votre propre agence à Casablanca en 1982.
Noureddine Komiha & Wafaa Diouri : Nos débuts en architecture remontent à nos années d’études à l’École Spéciale d’Architecture de Paris, une période extrêmement formatrice. Nous y avons découvert non seulement les fondamentaux du métier, mais aussi l’ouverture culturelle et intellectuelle nécessaire pour penser l’architecture au-delà des simples constructions. Nous avons été influencés par les grands courants modernistes, mais aussi par la richesse du patrimoine architectural marocain, qui nous a toujours accompagnés, même à distance. Au sein de l’atelier d’Hervé Baley, nous avons été initiés aux règles de l’architecture organique pendant cinq années.
En 1979, après plusieurs années de pratique en France, nous avons ressenti le besoin profond de revenir au Maroc, notre pays natal, pour y contribuer activement au développement urbain et architectural. Casablanca, ville en pleine expansion et riche en contrastes, nous est apparue comme un terrain idéal. Créer notre propre agence était une manière naturelle de nous exprimer librement, de proposer une vision architecturale qui allie modernité, contextualité et sens du détail. Ce fut aussi un acte d’engagement : celui de participer à une dynamique nationale, à une époque où les besoins en équipements, logements et infrastructures étaient immenses.
A+E // Comment décririez-vous votre philosophie architecturale et comment se reflète-t-elle dans vos projets ?
NK. WD : Notre philosophie architecturale repose sur une conviction simple mais essentielle : l’architecture doit d’abord servir l’humain. Elle ne peut être un simple exercice formel ou une démonstration stylistique. Chaque projet, petit ou grand, doit améliorer la vie de ceux qui l’habitent ou le traversent. C’est pourquoi la notion de bien-être est au cœur de notre travail.
Le bien-être de l’habitant, c’est d’abord une écoute : comprendre les besoins réels, les modes de vie, les usages quotidiens. C’est aussi une attention portée à la lumière naturelle, à la ventilation, à la fluidité des espaces, à l’ergonomie et à l’intégration dans le contexte environnemental, social et économique. Nous nous sommes toujours attachés à créer des lieux qui respirent, où l’on se sent immédiatement chez soi : des espaces taillés à la mesure des habitants.
Cela se reflète dans nos projets à travers des choix architecturaux qui favorisent l’harmonie entre les volumes, les matériaux et l’environnement pour créer des concrétions inspirantes, des cristallisations fondatrices de bien-être et d’émotions positives. Nous avons toujours été sensibles à la qualité des détails, aux ambiances, à cette part d’émotion que l’architecture peut et doit transmettre. Notre approche n’est jamais figée : elle évolue avec les contextes, s’adapte aux budgets, mais elle reste fidèle à cette idée fondatrice : construire pour mieux vivre.
A+E // Pouvez-vous nous parler de votre admiration pour Frank Lloyd Wright et de l’influence de son travail sur vos propres conceptions ?
NK. WD : Frank Lloyd Wright a toujours été pour nous une référence majeure. Son approche profondément humaniste et sa capacité à faire dialoguer l’architecture avec la nature nous ont marqués dès nos années d’études. Chez lui, chaque ligne, chaque matériau, chaque ouverture semble découler naturellement du site, du climat, de la fonction. Il ne dessinait pas simplement des bâtiments, il concevait des lieux de vie. Nous avons effectué un « voyage initiatique » aux États-Unis en 1977, où nous avons eu l’honneur de rencontrer l’épouse de Frank Lloyd Wright, alors directrice de la Taliesin School, et avons pu nous imprégner pendant deux mois des principes de l’architecture organique.
L’architecture que nous revendiquons dans notre pratique, c’est justement cela : construire avec souplesse, initier des connexions fluides entre l’homme, son habitat et son environnement. Cela implique un travail patient sur les proportions, sur la lumière, sur les flux naturels — qu’ils soient visuels, thermiques ou même émotionnels.
Aujourd’hui, nous nous intéressons également de très près à la neuro-architecture, qui vient confirmer scientifiquement ce que nous pressentions intuitivement : notre cerveau et notre corps réagissent à l’espace. La lumière du matin, la douceur d’un matériau, la hauteur sous plafond, l’accès visuel à un jardin… tout cela influence notre bien-être, notre concentration, notre sérénité. Intégrer ces éléments dans la conception, c’est offrir aux usagers bien plus qu’un bâtiment : c’est leur offrir une expérience de vie positive, durable, thérapeutique. Un espace conçu de manière organique peut améliorer les capacités sensorielles, cognitives et intellectuelles de ses habitants.
A+E // Quels défis avez-vous rencontrés en adaptant des concepts architecturaux contemporains au contexte marocain ?
NK. WD : Lorsque nous avons commencé à travailler comme architectes au Maroc, l’un des plus grands défis a été de trouver l’équilibre entre l’architecture moderne et le respect de notre riche héritage culturel et architectural. Le Maroc, et particulièrement Casablanca, est une ville en perpétuelle évolution, qui jongle entre tradition et modernité. Il nous a donc fallu apprendre à intégrer de nouveaux matériaux, des lignes épurées, tout en veillant à ce que l’architecture respecte le climat, le paysage et la culture locale.
Sur le plan urbain, Casablanca est une ville marquée par une forte densité et une croissance rapide, mais parfois, elle a manqué de planification rigoureuse. L’adaptation des concepts modernes à un environnement souvent informel a constitué un défi supplémentaire. Les infrastructures, l’accès à l’espace public et la gestion de la croissance urbaine ont souvent mis en lumière des contradictions entre les aspirations architecturales et les réalités pratiques de la ville. Notre ambition a toujours été, quelle que soit la taille du projet, d’écrire un chapitre de l’histoire urbaine de la ville et d’insérer un maillon de qualité dans la chaîne de production de la ville.
Propos recueillis par Yasmina Hamdi