INTERVIEW AVEC ABDELLATIF KARIM, ARCHITECTE

Abdellatif Karim est architecte diplômé de l’Ecole d’Architecture de Toulouse en 1982. Après avoir effectué son service civil à la préfecture Ben M’sick-Sidi Othmane (1983/1985) et un bref passage dans le privé, il est nommé directeur de l’Institut de Formation Technique du Ministère de l’Intérieur de Casablanca de 1987 à 1990 où il  reçoit des formations en management et pédagogie. Il regagne, ensuite, l’Agence Urbaine de Casablanca en 1990 et y  travaille pendant une quinzaine d’années en occupant plusieurs postes de responsabilités : planification et  gestion urbaines, plans d’aménagements, schéma directeur de Casablanca, autorisations de construire, assistance technique aux communes etc. En 2004, il est sollicité pour occuper le poste de conseiller technique du wali d’Agadir. De 2009 jusqu’à fin 2017, il rejoint la CGI comme responsable du suivi des projets, puis le promoteur Alliances, en tant que chef du département des études. Il a pu, pendant cette période, être confronté aux problématiques de la fabrication de la ville du point de vue du promoteur.


A+E // Comment avez-vous décelé ce besoin chez les architectes ?


Abdelatif.Karim // L’élément principal qui m’a poussé à réfléchir à cette question, c’est la phase autorisation qui est devenue un «parcours du combattant». Non pas tant au niveau des procédures (qui elles-mêmes pourraient être améliorées en étant tout d’abord appliquées) mais c’est surtout au niveau des lectures et interprétations multiples données aux différents articles et dispositions règlementaires. Certains confrères m’ont confié préférer être dispensés de cette partie de la mission de l’architecte. Ce constat n’est pas nouveau. Il est un animement partagé par tous les architectes.
Je l’ai fait quand je travaillais à l’Agence Urbaine de Casablanca mais et mon point de vue a été conforté aussi lorsque j’ai travaillé au sein de sociétés de promotion immobilière telles la CGI et Alliances. 

Le problème principal réside, à mon avis, moins dans la connaissance des textes que dans leur interprétation. La connaissance est elle aussi importante et à ce sujet, il faut se remémorer, un élément d’histoire récente, que pour les architectes actuellement seniors, la période de service civil de 2 ans (les architectes contractuels avaient une période minimale obligatoire de 8 ans) qui était obligatoire et était une opportunité pour «faire connaissance» avec la règlementation d’urbanisme. 
Un autre aspect m’a conforté encore plus pour concevoir ce module c’est que cette situation n’a pas manqué d’impacter le rapport des architectes aux maitres d’ouvrages notamment les promoteurs immobiliers.
En effet, les pratiques de techniciens et autres intrus dans la profession ont rendu la pratique professionnelle focalisée sur un exercice basé sur les « performances » d’obtention rapide de l’autorisation et d’obtention de mètres carrés constructibles supplémentaires. Cela crée, auprès des promoteurs immobiliers, une espèce de «grille» d’appréciation de la compétence des architectes largement liée à leur capacité d’autoriser plus ou moins rapidement un dossier. C’est en fonction de cela que leur efficacité est mesurée, l’architecture se trouvant reléguée au second plan, si ce n’est pas plus loin encore. Ayant pu constater, par ailleurs, que certains projets excellents ont été banalisés par une lecture et une application aveugle et irraisonnée des articles réglementaires, j’ai été confortée par cette initiative de montage d’un module de formation en matière de règlement d’urbanisme 

A+E // Les architectes ont-ils une bonne connaissance des règlements qui régissent les constructions et autorisations ?

A.K // Il y a, à mon avis, deux niveaux de connaissance. Le premier est celui de la connaissance des règlements qui est plus ou moins poussée chez les architectes. A noter que l’aspect purement juridique des règlements ne fait pas, à proprement parler, partie du répertoire classique de formation de l’architecte. Répertoire, il faut le souligner, déjà largement encyclopédique.
Le deuxième niveau qui est autrement plus pertinent et professionnellement déterminant, c’est d’appréhender le règlement, et c’est sa nature, en tant qu’interface entre l’urbanisme et la forme urbaine. Articuler et relier les règles urbanistiques avec leurs fondements et soubassements urbanistiques les rendraient intelligibles et plus «digestes». Ce serait leur donner leur véritable justification car, après tout, les articles réglementaires ne sont (et ne devraient être) que la traduction et la codification règlementaires d’une vision et d’un projet urbanistique, censés être concrétisés au fur et à mesure des valorisations du foncier et du renouvellement urbain de la ville. 

Cette articulation permet, du «même coup», de lire le projet urbanistique sous-jacent au règlement et d’évaluer sa pertinence. On voit, donc, que de la qualité du projet urbanistique, de la justesse de sa traduction dépend, en grande partie, la bonne ou mauvaise gestion de son application. Le reste dépendant, par ailleurs, de la compétence des gestionnaires de la ville. 
Du coté des architectes, la question intéressante est : dans quelle mesure la règlementation d’urbanisme impacte-t-elle la forme urbaine ? Et quelle serait la « marge » d’intervention de l’architecte ? Il serait utile d’analyser et d’évaluer la production architecturale actuelle pour identifier et mesurer ce qui relève du règlement et ce qui relève de l’intervention propre de l’architecte, bien que la lecture architecturale du règlement soit, elle aussi, le propre du travail de l’architecte. Ce n’est qu’après ce travail de décomposition de notre production urbaine qu’on peut clarifier ce rapport au règlement. 

Ce rapport à la réglementation implique, enfin, un rapport à l’urbanisme, au processus de fabrication de la ville. L’architecte semble travailler, plus ou moins, en aval dans ce processus. Il travaille avec un règlement déjà fait où les « jeux sont déjà faits ». 
Les architectes/urbanistes, dans les secteurs public et privé sont les acteurs incontournables dans la fabrication des villes. Ils sont appelés, non seulement à faire une bonne lecture du règlement, en tenir compte mais aussi et surtout d’en être, en grande partie, les auteurs privilégiés. Ils ne sont pas des «applicateurs» du règlement mais, plus que ça, des espèces «d’éclaireurs urbains» qui montrent la voie. L’architecte et/ou urbaniste doit être présent dans toutes les étapes importantes de planification et mise en œuvre de la ville.

A+E // Y a-t-il des formations disponibles pour pallier à cette situation ?


A.K // Les formations fondamentales à l’urbanisme existent, celles de formation continue beaucoup moins. Ces dernières sont, elles-mêmes, à ma connaissance plus ou moins généralistes. Les architectes, en tant que professionnels, ont des besoins spécifiques auxquels il faut répondre de façon spécifique.  Il ne s’agit, donc, pas de proposer des formations à portée générale, avec un contenu académique que les architectes possèdent par ailleurs. Il ne s’agit pas non plus d’apports de «culture urbaine» à moins qu’elle ne soit reliée à des aspects opérationnels. Les besoins du corps professionnel des architectes doivent faire une étude préalable d’identification des besoins, de leur puis et déclinés en objectifs opérationnels et mesurables à atteindre. 
Ces formations peuvent, par exemple, être catégorisées en fonction de plusieurs paramètres : jeune architectes ou seniors, architectes du secteur privé ou public mais aussi par rapport à des nouveaux champs d’intervention par exemple lors d’élaboration des documents d’urbanisme, plans d’aménagement, schémas directeurs où les architectes doivent être présents et marquer de leur empreinte la nature et la qualité de ces documents. Le dessein de la ville n’est pas une affaire administrative mais concerne tous les acteurs à commencer par les architectes et urbanistes.

A+E // Pensez -vous, à court terme, remédier à cette situation, vous qui avez eu la chance, dans votre carrière, d’avoir des responsabilités dans l’administration et au sein d’entreprises de promotion immobilière ?

A.K // La formation continue est, comme son l’indique, une dynamique pérenne, qui ne s’arrête pas. Les besoins en formation doivent, comme je l’ai dit, être identifiés, analysés et traduits sous forme d’objectifs à tteindre, planifiés dans le temps. 
Cela peut se traduire par un plan de formation ou un schéma directeur de formation. La formation peut, aussi, à un moment déterminé, être organisée pour satisfaire un besoin en formation ponctuel et immédiat. En France, c’est une obligation professionnelle, pour les architectes, de s’assurer un minimum de 20h/an de formation continue.
Chaque organisation gagne à mettre en place, en son sein, une structure dédiée à la formation continue. Le Conseil Régional de l’Ordre des Architectes de Casablanca a mis en place une commission de formation continue. C’est une très bonne chose et c’est grâce à ça qu’une collaboration a été possible pour monter ce module de formation qui, j’espère, ne sera pas le dernier. 
Nul professionnel ne peut considérer qu’il a été formé une fois pour toutes. Les règlementations existent, et doivent par conséquent, être connues mais elles évoluent aussi, d’où des besoins permanents de mise à niveau. Et cela ne s’arrête pas là, puisqu’elles doivent faire l’objet d’un regard critique permanent afin de les améliorer, à la lumière de sa confrontation avec la réalité. Qui d’autre mieux que l’architecte/urbaniste est à même de le faire. A signaler que lorsque je parle des architectes, je parle aussi bien du privé que du public sans oublier l’urbaniste. Si dynamique de changement il y a, c’est avec l’ensemble de ces acteurs qu’elle peut se faire.
Enfin, les actions de formation continue, dans le domaine de l’urbanisme, ne peuvent être efficaces que si elles associent, dans les mêmes séances de formations, le secteur public et privé. Ces séances sont, en effet, des occasions propices à un remue- méninge collectif où les questions de réglementation et d’urbanisme peuvent être abordées, débattues et pourquoi pas solutionnées.


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