Interview avec Salima Naji, architecte et anthropologue

Salima Naji, Architecte Anthropologue : « En tant que lieu culturel, par ses éléments de construction et par les formes employées, le bâtiment doit rendre hommage à la région ».


A+E // Pourquoi avoir opté pour une construction totalement en pierre et pierre sèche ?


Salima Naji // Travailler les externalités positives en limitant l’apport extérieur au minimum ; travailler avec le local permet de vraies économies d’échelle dans la logique du développement durable. Aujourd’hui, alors qu’il faut réfléchir à économiser les ressources locales, on importe des grandes villes du ciment, grand consommateur de sable et de graviers, sans savoir qu’il faut aller doucement et n’utiliser ces matériaux que quand c’est nécessaire. Ces projets sont à 5 H ? des premiers cimentiers, utiliser du béton armé, dans ces conditions, n’a aucun sens. C’est d’actualité depuis la COP 22, on en parle cette année encore à la biennale d’architecture de Venise. Pour des projets à RDC, la question des matériaux locaux est une évidence : terre, pierre, et réemploi. Tous les concepteurs doivent se poser cette question de leur inscription carbone au lieu de faire comme si on était encore dans les années 1980…

A+E // Quel a été votre parti architectural dans la conception de cet édifice ?


S.N // En tant que lieu culturel, par ses éléments de construction et par les formes employées, le bâtiment doit rendre hommage à la région. Le Jbel Bani omniprésent est une carrière à ciel ouvert. A Assa, à Akka, à Amtoudi, notre agence d’architecture a acquis une expertise pour la construction en pierre. Il était donc intéressant, pour ce projet éminemment culturel, de réinvestir les carrières locales et nos maçons formés sur des chantiers de restauration. Faire référence au riche patrimoine local, les greniers collectifs (Tadakoust), Tiguemmi n’Ouguelid, et les mosquées en pierre témoignent d’un grand savoir-faire ancestral qui pourrait ainsi être réactivé et choisi à la place des tristes constructions en parpaings qui envahissent le village sur son flanc montagneux de la route tout comme dans l’ancienne oasis en contrebas.

Le projet s’insère ainsi dans le paysage sans le dénaturer, ni le détruire. La référence au local se fait d’abord par la façade extérieure et les modes constructifs qui reprennent les formes et le vocabulaire architectural du patrimoine local mais le modernise :
— Les terrasses épousent les courbes de niveaux et proposent donc diverses hauteurs de corniches (agfaf) comme les villages de la commune urbaine concernée ;
— le wust eddar (lastwane) est conservé dans le lanterneau zénithal (skydome vitré) de l’accueil, mais aussi dans le type de circulation en double galerie ;
— Le hall fait référence aux plafonds tressés locaux qui ornaient les espaces de réception (tamesryt) des belles demeures de jadis

A+E // En quoi est-il bioclimatique ?


S.N // En tant que lieu culturel, par ses éléments de construction et par les formes employées, le bâtiment doit rendre hommage à la région. Le Jbel Bani omniprésent est une carrière à ciel ouvert. A Assa, à Akka, à Amtoudi, notre agence d’architecture a acquis une expertise pour la construction en pierre. Il était donc intéressant, pour ce projet éminemment culturel, de réinvestir les carrières locales et nos maçons formés sur des chantiers de restauration. Faire référence au riche patrimoine local, les greniers collectifs (Tadakoust), Tiguemmi n’Ouguelid, et les mosquées en pierre témoignent d’un grand savoir-faire ancestral qui pourrait ainsi être réactivé et choisi à la place des tristes constructions en parpaings qui envahissent le village sur son flanc montagneux de la route tout comme dans l’ancienne oasis en contrebas.
Le projet s’insère ainsi dans le paysage sans le dénaturer, ni le détruire. La référence au local se fait d’abord par la façade extérieure et les modes constructifs qui reprennent les formes et le vocabulaire architectural du patrimoine local mais le modernise :

— Les terrasses épousent les courbes de niveaux et proposent donc diverses hauteurs de corniches (agfaf) comme les villages de la commune urbaine concernée ;
— le wust eddar (lastwane) est conservé dans le lanterneau zénithal (skydome vitré) de l’accueil, mais aussi dans le type de circulation en double galerie ;
— Le hall fait référence aux plafonds tressés locaux qui ornaient les espaces de réception (tamesryt) des belles demeures de jadis.

A+E // En quoi est-il bioclimatique ?


S.N // L’analyse paysagère permet de voir la courbe du soleil : anticiper l’orientation de la construction afin de régler le confort thermique des usagers futurs : Ici l’orientation principale, celle qui donne sur la route est la plus exposée. Elle reçoit un fort rayonnement dans une zone aride de hamada de pierre, sans végétation, au-dessus du niveau de l’oasis. La construction a donc été conçue pour corriger cette orientation problématique tout en gardant la visibilité sur toute la surface du projet. Il fallait lutter contre cette mauvaise exposition en protégeant les espaces par un dispositif de double-peau en matériaux biosourcés et métal à claire-voie (ajourée : laissant passer l’air et filtrant la lumière).

Pour lutter contre les températures extrêmes (hivers aux nuits très froides, fortes amplitudes d’été) et permettre d’utiliser ce lieu par tous les temps, tout en protégeant le matériel et l’équipement (ordinateurs, livres, mobilier, etc.), le projet a choisi d’utiliser la pierre locale en épaisseur suffisamment isolante. Mais surtout, un dispositif de régulation thermique permet de ventiler les espaces tout en les protégeant du rayonnement lumineux direct : Une galerie bioclimatique fait effet de brise-soleil et arrête le rayonnement lumineux : à l’intérieur, la lumière provient ainsi de seconds jours, c’est-à-dire de lumière indirecte, moins violente. L’ombre produite permet également de rafraichir les lieux. Le lanterneau central sur le hall d’accueil apporte une lumière constante (zénithale) du plafond tout en permettant de faire circuler l’air.

A+E // En somme, avec la galerie et la pierre vous isolez et ventilez le bâtiment ?


S.N // Exactement, il peut faire 48°. C dans ces localités. Les climats chauds impliquent ainsi de travailler les espaces extérieurs autant qu’intérieurs et de soigner les articulations en espaces tampons qui retiennent la chaleur pour qu’elle ne pénètre pas à l’intérieur. Il y a des coupures électriques et je suis peu partisane de la climatisation hyperpolluante et qui génère des pathologies sur les terrasses et rend malade. Donc, on aime se creuser la tête pour inventer des réponses à un climat des extrêmes, mais avec un tout petit budget.

A+E // C’est un bâtiment INDH (Initiative pour le Développement humain) ?


S.N // Face aux bouleversements du monde, au changement climatique, à la perte des repères ou à une éthique quotidienne faite de simplicité et de respect d’autrui, il est temps de se retourner derrière soi pour mieux considérer l’avenir. L’heure aux plaidoyers est terminée, il faut passer à l’action. Il est temps aujourd’hui de comprendre la valeur avant tout climatique de cette architecture dans son écosystème judicieux de l’oasis, comprendre que nous pouvons — et devons ! — retirer des enseignements et d’embrasser notre héritage matériel et immatériel avec une conscience réelle de sa valeur pour les générations à venir.
La reconnaissance d’une architecture responsable, de qualité, soucieuse des enjeux sociaux, économiques et environnementaux est au cœur de ma démarche, depuis plus de 15 ans. Non sans mal. Qu’il s’agisse de logements, ou de bâtiments publics, pour nous montrer que cette voie est plus que possible : nécessaire.

Édifier pour des classes très privilégiées, déjà convaincues, répondre à un programme lucratif d’une fondation internationale prestigieuse qui ne se coltinera pas le circuit des autorisations, n’a aucun autre impact que le contentement narcissique. On reste entre happy few déjà convaincus.

Ici, c’est une consultation architecturale. J’ai voulu prouver qu’on peut faire des miracles dans ce pays avec des petits budgets. Les projets INDH s’intéressent à des communes fragiles au niveau indice de la pauvreté parmi les plus pauvres. Leur faire une belle architecture est un beau geste de la part de l’architecte. Faire passer des idées. Éduquer. L’architecture a un rôle social : On est à côté d’un lycée, dans les derniers jours avant la livraison, les jeunes sont passés et ils nous ont dit qu’ils adoraient, que c’était exactement ce qu’ils voulaient avoir comme lieu de loisirs : moderne mais contextualisé. Bien sûr ils l’ont dit avec leurs mots à eux !


A PROPOS DE SALIMA NAJI


Salima Naji est architecte DPLG (diplômée de l’École d’architecture de Paris-La-Villette), et docteur en Anthropologie (École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris).
Parallèlement à ses recherches, elle s’investit depuis plusieurs années dans des actions concrètes de sauvetage ou de développement culturel.
Elle a ainsi assuré la réhabilitation de plusieurs igoudars (greniers collectifs :Amtoudi, Innoumar), de mosquées et de ksours (villages fortifiés d’Assa et d’Agadir Ouzrou). Elle œuvre aussi à la sauvegarde de la médina de Tiznit.
Elle a reçu le Prix Jeunes Architectes, de la Fondation EDF en juin 2004 et a été déclarée « Inspiring women, expanding Horizon », par la Mosaic Foundation à Washington en 2008.
Honorée par la cérémonie du Takrim de l’Ordre des Architectes du Royaume en 2010, elle reçoit en 2011 le Prix Holcim du Développement Durable, « Bronze Afrique-Moyen-Orient » pour le projet d’un centre de formation professionnelle à Marrakech pour la Fondation Alliances. Auteure de plusieurs ouvrages de référence sur les architectures vernaculaires du sud Marocain : Art et architectures berbères en 2001, Portes du Sud en 2003, Greniers collectifs de l’Atlas en 2006 et Fils de saints contre fils d’esclaves en 2011, elle participe, en tant qu’experte,  à plusieurs jurys internationaux.
Dans le cadre d’une sensibilisation au Maroc, elle a organisé en 2003 (commissaire et scénographe) l’exposition itinérante « Architecture des oasis, vitalité d’un patrimoine en danger ».


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