La transmission de l’architecture

Lina Meskine est étudiante en dernière année à l’Ecole Nationale d’Architecture de Rabat. Elle nous raconte comment l’architecture lui a été transmise par sa mère architecte. Une transmission qui ne fut ni volontaire, ni réfléchie, mais naturelle et spontanée,  émotionnelle et silencieuse. Elle s’est construite progressivement dans le temps, puis s’est révélée par la suite comme une évidence.

L’ARCHITECTURE, UNE MADELEINE DE PROUST

« Quand je pense à l’architecture, des images remontent en moi » – Peter Zumthor

Il y a des choses qui se déclenchent à l’enfance, et qui depuis, ne nous quittent plus jamais. On ne choisit pas les choses qu’on aime : elles viennent à nous, où ont toujours été là, quelque part : nous les retrouvons seulement.

Comment l’architecture m’a-t-elle été transmise par ma mère ? A quel moment et pourquoi ai-je choisi de devenir architecte ?

Répondre à ces questions relève d’un exercice de mémoire tortueux. Il faut fouiller dans les dédales du passé, décortiquer ce qui est de l’ordre de l’intuitif.

A aucun moment, ma mère ne m’a poussé à suivre des études d’architecture. Pourtant, aussi loin que je m’en souvienne, je voulais être architecte. Mon intérêt pour le domaine s’est d’abord construit au bout du crayon : petite, j’ai énormément dessiné. Et plus tard, en recherchant l’émotion, la part du rêve et de l’expression personnelle que permettait le métier.

Ma découverte de l’architecture remonte alors à l’enfance, aux côtés de ma mère. Dans ma mémoire, elle a sa place au milieu des souvenirs d’enfance : ceux du goûter après l’école, des jeux et des contes. Au point que lors de mes premières années d’architecture, j’ai eu le sentiment de replonger en enfance, en réalisant un rêve d’enfant.

PREMIÈRES ÉMOTIONS ARCHITECTURALES

Dans mes souvenirs aux contours imprécis, un seul ressurgit de manière vive : celui d’une première leçon d’architecture, qui fut autour de Frank Lloyd Wright.

J’avais 10ans. Ma mère me racontait comment dans un projet de Wright, un espace pouvait être pensé autour et à partir de la présence d’un arbre. Je me souviens avoir trouvé ça extrêmement beau. D’ailleurs, plus tard, la vision romantique de l’architecte américain imprègnera beaucoup ma pensée architecturale.

Je me souviens avoir eu aussi quelques premiers exercices. J’ai du reprendre par exemple, le plan de notre maison, esquisser des perspectives du salon, de ma chambre, dessiner les meubles et les objets vues d’en haut. Je m’amusais à traduire dans les codes du dessin architectural, les espaces dans lesquelles on vivait.

Enfin, mes premières émotions ont été suscitées à travers ceux de ma mère.

Tous les jours, en parlant, elle s’attardait à décrire les lieux et ses ressentis. Elle évoquait souvent la lumière, l’atmosphère, l’échelle.

L’ARCHITECTURE, UNE TOURNURE D’ESPRIT ET NON UN MÉTIER

Ma mère, architecte, a pratiqué quelques années dans un cabinet d’architecture à Alger, avant d’arrêter sa carrière, à ma naissance. Elle a choisi, non sans difficulté, de se consacrer au métier de maman, qu’elle appelait désormais : son nouveau
« projet ».

Toutefois, l’esprit du métier est resté très présent en sa personne.

Ma mère était architecte, dans sa façon d’assurer l’ordre des choses, sa rigueur et sa précision dans le travail, sa manière de faire les gâteaux : proportions et équilibre.

Elle était architecte dans sa manière d’apprécier un rayon de soleil, une entrée en chicane, le coin d’une rue ; dans le plaisir qu’elle a à ré-imaginer sans cesse autrement, l’aménagement de la maison. D’ailleurs, son bon gout et ses aménagements d’intérieur lui valaient régulièrement des compliments. En étant architecte, elle fut bricoleuse, bonne cuisinière, et maman dévouée.

L’ARCHITECTURE A QUELQUE CHOSE À VOIR AVEC L’ENFANCE

Je pense que quelque part, d’une manière ou d’une autre, l’architecture nous a tous été transmise. Elle a quelque chose à voir avec l’enfant en nous, dans sa capacité à s’émouvoir, à s’attacher à un espace, à accorder l’importance aux détails et à capturer le génie du lieu. Peter Zumthor affirme que nous avons tous fait l’expérience de l’architecture avant de connaître le mot lui-même. Selon lui, les racines de notre compréhension de l’architecture remontent à l’enfance et sont ancrées dans le vécu et dans nos expériences passées. Elles se trouvent dans notre biographie.

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