Il nous est impossible d’entamer ce numéro dédié à la lumière et la transparence en architecture sans évoquer Alhazen ou Ibn Al-Haytham, (Bassora, 965 – Le Caire, 1039) qui fut mathématicien, philosophe et physicien du monde médiéval arabo-musulman. Ce savant a révolutionné, entre autres, la science de la lumière. Il est le premier à établir que la lumière de la Lune vient du Soleil et à contredire Ptolémée qui affirmait que l’œil émettait de la lumière.
Quant à la transparence qui tire étymologiquement son origine du latin trans, au-delà, à travers et de parere, paraître, apparaître, se montrer, elle suggère une matière ou une façon de faire qui se laisse traverser par la lumière en laissant voir les formes et les couleurs.
La transparence en architecture s’est exprimée à la fin du XIXe siècle avec le Crystal Palace, érigé à Londres en 1851. Déjà, ce matériau suggérait à des visionnaires un usage bien plus courant.
Ainsi, en 1894, Jules Henrivaux écrivait : « Il y a au moins quatre ans que l’on a signalé aux architectes les services nouveaux que le verre est appelé à leur rendre. Il peut remplacer le bois, le fer, les matériaux de construction et de décoration ;
il peut servir à faire des conduites, des tuyaux, des cuves, des tuiles, des cheminées, et jusqu’à des maisons. Nous avions conçu, dès cette époque, le projet d’une maison de verre. Les murs, disions-nous, seront constitués par une carcasse en fer d’angle sur laquelle on disposera verticalement des dalles en verre, de manière à réaliser une double paroi dans l’intérieur de laquelle on fera circuler l’hiver de l’air chaud, l’été de l’air comprimé, lequel en se détendant refroidira les murs. Les toitures seront en verre grillagé ; et naturellement en verre aussi les murs d’intérieur, les escaliers …etc.* ». Henrivaux n’arrivera jamais à concrétiser son rêve et construire une maison de verre.
Le XXe siècle a été pour le verre, associé aux performances de l’acier, une époque de démonstration de son pouvoir : c’est la période des gratte-ciels. En Europe, l’Institut du monde arabe de Jean Nouvel et la pyramide du Louvre de Pei ont été des moments forts de cette architecture. Bien plus, ils ont été le manifeste d’une certaine conception du monde. L’habitat a perdu sa fonction première de protection, pour devenir un lieu ouvert au monde : c’était l’avènement d’une ère nouvelle. La transparence est devenue synonyme de vérité et de démocratie. Toute la Société appela à la transparence et la glasnost engendra la chute du mur de Berlin. La valorisation de la transparence ira de pair avec la dévalorisation du secret : recul du secret de l’instruction, du secret professionnel, suspicion des secrets d’État, mais surtout recul de la vie privée.
Le XXIe siècle voit la richesse matérielle faire place à la richesse immatérielle : celle des brevets et autres licences. Et la vie privée s’étaler sur les réseaux sociaux, nouvelle vitrine du monde. Pourquoi l’architecture n’en ferait-elle pas autant ?
Après l’âge de pierre, l’âge de bronze et celui du fer nous voici dans l’âge de verre.
HENRIVAUX, J., La Revue des deux mondes. (Paris) 1er nov. 1898, pp. 112 et s.; cité d’après PAQUOT, T. , « Transparence et architecture », dans l’ouvrage collectif Transparences, Paris, Ed. de la Passion, 1999, pp. 101-119; cit. p. 108-109.