LE MARKETING DE LA DEMANDE COMME APPROCHE CRÉATIVE
Le « marketing culinaire » est une discipline naissante et pluridisciplinaire, qui allie architecture, graphisme, identité culinaire, stylisme, photographie, storytelling et toute autre approche créative autour de l’expérience gustative (lors d’évènements, au restaurant, à la maison…). Dans une approche contemporaine et engagée du marketing, il s’agit aussi de proposer un marketing de la demande et non un marketing de l’offre.
C’est-à-dire répondre aux attentes des clients en s’intéressant au développement durable, à la sociologie, aux tendances culinaires et au design plutôt qu’à la force de vente et aux actions de promotion.
Répondre aux attentes des consommateurs (à la demande) est l’un des éléments essentiels pour bâtir un concept food innovant, suffisamment solide pour s’inscrire dans la durée. Le talent créatif d’un entrepreneur en restauration aujourd’hui s’appuie donc d’abord sur sa capacité à imaginer une offre globale, cohérente, attractive et ancrée dans son territoire.
D’autant plus qu’à l’âge des réseaux sociaux, les concepts de restauration ont tendance à tous se ressembler, peu importe où l’on se situe sur la planète. Alors, où se logent les éléments de différentiation nécessaires à la création d’un concept de restauration durable et original ?
LE MIX DESIGN-EXPÉRIENTIEL : DE L’EXPÉRIENCE D’ACHAT À L’EXPÉRIENCE DE CONSOMMATION
Un concept culinaire réussi ne peut se résumer à la qualité des plats proposés. Le restaurant n’est pas qu’un lieu de production alimentaire, c’est un lieu de vie, où l’on vient passer un moment agréable et parfois même vivre une expérience culturelle. Il repose sur une expérience globale, holistique, où chaque détail compte, du design à l’ambiance, de la qualité de l’offre, aux interactions entre le service et la clientèle.
IDENTITÉ
La première impression que renvoie un restaurant est fondamentale pour attirer et retenir l’attention des clients. L‘image de marque, les couleurs et les matériaux, la décoration, le tone of voice employé et le dressage des plats doivent être harmonieusement combinés pour raconter une histoire cohérente et immersive. Une identité forte est une invitation à venir découvrir l’univers d’un restaurant et sa signature. En somme, l’identité d’un établissement, qu’elle soit portée par des traits graphiques ou culinaires, transcende sa fonction esthétique pour devenir un vecteur de narration. Dans un monde où l’attention est un bien devenu rare, l’identité singulière attire, intrigue, suscite le désir, fidélise et pose les bases d’une relation affective entre le restaurant et ses clients.
L’ambiance générale d’un restaurant a un impact fort sur la consommation des clients. Les anecdotes indélicates à ce sujet ne manquent pas : un bar qui offre des encas apéritifs trop salés pour assoiffer ses clients, la suppression des horloges et de la lumière du jour pour faire perdre toute notion du temps aux noctambules, les jolis minois volontairement placés côté-rue pour attirer les passants… Outre ces éléments peu recommandables, il est essentiel de prendre en compte l’ensemble des facteurs d’ambiance pour plonger les clients dans une atmosphère choisie et adéquate. Ainsi, ils resteront plus longtemps, consommeront plus et reviendront pour (re)-vivre une expérience inoubliable. La valeur ajoutée émotionnelle est un levier de différenciation puissant.
Cette atmosphère permet aussi de créer le sentiment de « communauté » ou de
« grande famille » autour d’un établissement, de se retrouver à certaines heures de la journée, période de l’année, autour d’évènements marquants et continue la discussion sur les réseaux sociaux où ils deviennent ambassadeurs de la marque.
SENSORIALITÉ
Quand on cherche à allier design et expérience dans la création d’un concept de restaurant, le concepteur veille à attirer et à séduire ses clients en donnant «à voir» (au sens multisensoriel), ce qui se passe à l’intérieur d’un établissement :
- L’ouïe : Choisir une musique adaptée au concept et soigner les installations sonores pour qu’elle soit audible quand on s’arrête devant le restaurant, sans pour autant perturber la vie en communauté
- L’odorat : Diffuser des odeurs : le pain cuit au four juste avant l’arrivée des clients, une pizza en préparation même s’il n’y a pas encore de commandes, des plantes aromatiques en terrasse…
- Le toucher : Faire déguster des échantillons est convaincant – c’est l’adage
«je touche, donc j’achète». Néanmoins, pour éviter de ressembler à un point d’animation de grande distribution, le dispositif doit être irréprochable : une tenue appropriée, inviter à goûter sans solliciter, en proposant fièrement des produits de qualité …
- La vue : Avec une cuisine ouverte, on n’a plus rien à cacher. C’est la promesse d’une expérience culinaire authentique où la culinarité est la mise en scène – le client vient assister à un spectacle autant qu’il vient se restaurer.
- Le goût: Bien plus riche que la simple sensation de saveurs sur la langue, le goût est intrinsèquement multisensoriel. C’est celui qu’on vient chercher. Il repose sur une constellation de sensations qui, combinées, créent une expérience gustative. Mais ce secret, tous les chefs le connaissent.
EXIGENCE DU SENS
Comme dans tous les secteurs, après être passé d’une approche purement transactionnelle (l’achat), à une approche relationnelle (la fidélisation), les entrepreneurs s’intéressent aujourd’hui au « vécu » de leurs clients (l’expérience). Moteur de différenciation, savoir donner du sens à ses clients, c’est les impliquer dans leur consommation et donner davantage de valeur au produit.
Ainsi, l’expérience culinaire doit être unique (le lieu, le moment, l’ambiance, le goût…), subjectif (le client se sent privilégié, un être particulier, à part…), mémorable (instagrammable) et authentique (sincère et sans arrière-pensées commerciales).
Plus concrètement, les consommateurs sont à la recherche d’un nouveau bien-être alimentaire. Vecteur de plaisir et de santé, l’alimentation porte aussi les marqueurs d’une responsabilité sociétale, qui invite à privilégier une consommation éthique, locale et durable.
Les dimensions locales et durables associées à la quête d’authenticité renforce la recherche de concepts culinaires ancrés dans leurs territoires et dans leur histoire. Les restaurants deviennent alors des portes d’entrée vers une destination et apportent les clés de compréhension d’une culture car, comme le disait le géographe Jean Brunhes, « Manger c’est incorporer un territoire ».
INSCRIRE UN CONCEPT DE RESTAURATION DANS SON ENVIRONNEMENT
« Une cuisine, c’est l’âme concrète d’une société C’est la carte d’identité d’un pays C’est le drapeau et l’emblème de tout un peuple » – Tahar Ben Jelloun
La mondialisation (uniformisation des goûts et uniformité des concepts de restauration à travers le monde) a induit une disparition (ou un oubli temporaire) de certaines singularités culinaires territoriales.
Aujourd’hui, consommer local et se fournir au plus près de son lieu de production, c’est d’abord respecter son histoire, protéger ses traditions et maîtriser ses évolutions et c’est aussi favoriser la relocalisation de la production alimentaire et la création d’emplois non-délocalisables.
Marketing culinaire et marketing territorial convergent alors pour développer des identités locales fortes, tant pour les habitants que pour les touristes.
En effet, une identité culinaire basée sur des valeurs et des liens humains est, certainement, un moyen d’attirer les touristes et de les ravir, mais aussi un élément stratégique pour les territoires souhaitant attirer de nouveaux habitants, impliqués dans l’action locale.
Comme aujourd’hui, la gastronomie est centrale, tant dans la vie de la cité que dans les attentes des visiteurs, la définition d’une identité culinaire locale, même parfois artificielle, s’impose. Ainsi, partout dans le monde, de nombreuses « destinations » soutiennent la création d’espaces festifs (tiers-lieux, food-courts, halles gourmandes, jetées de bord de mer…), en grande partie dédiés aux arts culinaires. Avec la volonté de redynamiser des quartiers injustement délaissés ou fraîchement rénovés, les acteurs politiques et économiques locaux favorisent l’installation d’activités commerciales de proximité.
Pour les entrepreneurs et créateurs de concepts, valoriser le terroir (ou le « meroir » en bord de mer), comme créer du lien avec la communauté ou faire rayonner son territoire est une stratégie d’avenir, porteuse de sens, qui permettra d’appliquer un mix design-expérientiel innovant, dont les perspectives créatives sont et resteront infinies.
Ces stratégies de marketing culinaire s’appliquent alors à d’autres industries que celles de la restauration (les médias, l’édition, la production de contenu en ligne, l’événementiel, les services, l’artisanat, etc.) et permettent aux restaurateurs d’élargir leur horizon en devenant une marque food et culturelle aux multiples possibilités.