La construction du regard, l’émergence des talents – Maria El Glaoui

Maria El Glaoui (1979) est architecte diplômée de l’ENSA de Grenoble, et formée en architecture du patrimoine marocain suite au programme porté par l’ENA de Rabat et l’école de Chaillot de Paris. Elle prépare depuis 2015 une thèse de doctorat au sein de l’école doctorale Milieu, cultures et sociétés du passé et du présent de l’université de Nanterre. Sa recherche porte sur la modernisation de l’habitat en pays Glaoui, au centre du Haut Atlas marocain. Ayant enseigné pendant six années à l’école d’architecture de l’université Internationale de Rabat, elle nous dévoile là quelques souvenirs et réflexions. S’interrogeant sur le rôle de l’enseignant dans la pratique architecturale, elle évoque sa contribution à la mise en lumière des talents et au renforcement d’une passion.


« A force de construire, me fit-il en souriant, je crois bien que je me suis construit moi-même. » Eupalinos ou l’Architecte, Paul Valéry.

Si enseigner est un art, il faut chercher à entrevoir son essence dans ses manifestations annexes loin de l’éclat du maître qui dispense son savoir.

Enseigner, c’est d’abord découvrir, au sens étymologique du terme. Montrer  des pistes, entrebâiller des portes qui permettront, à qui veut comprendre, de construire les conditions de son propre apprentissage. C’est la plus importante leçon que mes étudiants m’ont enseignée.

L’humilité  constante, et la remise en question régulière sont à mon sens deux grandes qualités pour être capable d’enseigner par l’installation d’un climat de sérénité et de confiance dans une salle de cours, qu’elle contienne dix ou cent étudiants. Ce fut ma première pensée lorsque me fut demandé ce texte sur la question de la reconnaissance des talents chez les jeunes aspirants architectes.

Avec  du recul, la véritable satisfaction que je retire de mon travail d’enseignante en école d’architecture est de voir grandir des consciences. Car, au-delà de l’aisance gagnée dans la conception du projet, au-delà de la familiarité attendue avec l’histoire et la théorie de l’architecture, il est question de la construction d’un regard nouveau sur la conception de soi – de sa place au monde – qui me semble nécessaire pour devenir un(e) architecte lucide, seule voie possible à l’expression du talent.

J’ai enseigné en cycle Licence ; dans les premières années donc, où (presque) tout se joue. Côtoyer des jeunes bacheliers pourrait donner matière à réécrire Les Caractères de La Bruyère tant les personnalités et les rêves qui y sont attachés sont singuliers. Ni absolution d’office ni condamnation d’emblée. Dès les premiers mois à l’école, pour que la magie puisse opérer, les natures des uns et des autres, doivent être bousculées, confrontées à de nouvelles idées intégrées par la manipulation de signes nouveaux ; elles doivent devenir attentives à l’espace (physique, abstrait, relatif, absolu, perçu, …) qui les entoure.

L’humour est une arme fatale pour peu qu’il soit associé à une extrême rigueur.

C’est ainsi que s’instaure un dialogue juste avec mes étudiants, toujours riche pour les deux parties ; en somme, tenter d’être à la fois d’une exigence salutaire et d’une souplesse créative. Emprunter des chemins de traverse avec telle étudiante réfractaire à la règle, éveiller à la poésie tel autre trop à cheval sur les prescriptions, discuter musique avec ceux-là croisés en allant boire un café, encourager sans cesse et recommencer ; et prêter ses livres (et en perdre quelques-uns)…

Les  bousculer, les étonner, les pousser à s’exprimer et à élaborer leur pensée.

Leurs singularités.

C’est ainsi que les architectes naissent. C’est alors qu’on les reconnaît.

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