Soumaya Samadi est architecte et paysagiste, docteure en Architecture des Parcs, des Jardins et Aménagement du Territoire à l’Università degli Studi Mediterranea di Reggio Calabria en Italie. Elle enseigne l’architecture et le paysage à l’Ecole Nationale d’Architecture de Rabat. Elle est l’auteur d’articles et de projets publiés dans des revues internationales. Son ouvrage, « Marrakech, les poétiques du Paysage», est un livre ouvert sur le paysage et sur le parcours temporel et spatial de la ville. Fruit d’une longue recherche scientifique, Soumaya Samadi déploie dans ce livre toute sa passion comme s’il s’agissait d’un texte autobiographique.
A+E // Comment êtes-vous passée de l’architecture à l’architecture du paysage ?
Soumaya Samadi // Tout s’est passé quand j’ai assisté à un colloque international « Vivre et habiter le paysage » organisé à l’Ecole Nationale d’Architecture à Rabat en 2001 en collaboration avec la Chaire UNESCO « Paysage et Environnement » et autres partenaires. A l’époque j’étais encore étudiante et, en voyant défiler divers exemples du monde entier, au regard des expériences en provenance de certains pays, les projets présentés m’ont beaucoup impressionnés. Il s’agissait bien de projets paysagers qui renseignaient sur l’histoire, la culture, ainsi que sur l’écologie ; des projets présentant l’apport du paysage dans le développement architectural et urbain durable. J’ai tout de suite compris que la question du paysage est devenue, une préoccupation centrale des acteurs du développement dans les sociétés occidentales. Et, particulièrement au Maroc, l’Etat prend sa position pour agrandir le champ d’intervention des acteurs sur le paysage afin de pouvoir créer un cadre de vie meilleur ; j’ai assimilé la nécessité et l’apport du paysage dans le développement architectural et urbain durable. C’est donc un renouveau de la pensée urbaine.
C’est en ce moment bien précis que j’ai eu le déclic et je me suis dite « c’est ce que je veux, me former en architecture du paysage » ; depuis j’ai eu l’idée de poursuivre mes études, et me spécialiser en la matière.
J’ai eu la chance de saisir l’opportunité et de participer d’abord à une formation continue sur le paysage organisée en partenariat entre la Chaire UNESCO, « Paysage et Environnement » de l’Université de Montréal et l’Ecole Nationale d’Architecture. Au cours de cette formation, J’ai eu l’occasion de découvrir les véritables enjeux d’une approche paysagère. Les projets étudiés m’ont portés un intérêt particulier à l’égard de leur mise en œuvre dans un processus paysager, ainsi que leur réalisation dans un cadre d’une planification concertée. Aussi, les différentes présentations des intervenants locaux m’ont révélées les points saillants de la question au Maroc. Depuis, c’était une évidence pour moi de poursuivre le master MAPAT, Master en Paysage et Aménagement du Territoire un diplôme européen, une formation qui a porté sur une réflexion interculturelle, transdisciplinaire vis-à-vis de l’aménagement et de la requalification de sites les plus significatifs. La question de la mise en valeur et du développement des paysages urbains et des cadres de vie étaient au cœur des ateliers.
Durant cette période, je ne cessais de réfléchir, de me poser des questions sur la réalité de l’approche paysagère au Maroc ?? Soucieuse de l’avenir de mon pays, j’ai voulu en premier lieu comprendre le processus, qui reste bien défini chez les occidentaux ; confus chez nous, en me demandant le pourquoi et le comment ?? Ma curiosité s’est amplifiée et c’est ce qui m’a poussé à entamer des recherches essayant de trouver des réponses à mes diverses questions. C’est ainsi que j’ai décidé de compléter cette formation par un doctorat en Italie, le pays qui m’a bien accueilli pour en sortir avec une thèse sur le paysage de Marrakech. L’objectif était d’éclairer la dynamique du développement de la ville en essayant d’expliquer le processus paysager depuis la période de la fondation de la cité jusqu’à ce jour. Cette thèse par son originalité d’aborder la question paysagère et non les jardins, a été considérée en tant qu’une nouvelle thématique, la présenter sous forme de double langage « essai théorique et iconique (dessins) » a poussé le responsable du doctorat ‘’ le professeur Franco Zagari’’ à m’encourager à la publier. Sous sa direction scientifique, elle a été éditée sous forme de livre intitulé « Marrakech, les poétiques du paysage ». Edition, Libria di Melfi Roma en 2013.
A+E // Vous êtes aujourd’hui enseignante en Architecture paysagère à l’ENA, quelle type d’enseignement professez-vous ?
S.S // L’idée est que le paysage est une dimension essentielle de l’existence humaine et qui s’est imposée aujourd’hui avec acuité dans les débats publics.
Le paysage devient aujourd’hui une notion pluridimensionnelle, il comprend une pluralité d’actions depuis l’intervention générale jusqu’à celle, ponctuelle, combine aussi la diversité des intervenants. Un ensemble de professions spécifiées agissent et façonnent notre cadre de vie : architecte, urbanistes, paysagiste, agronome, écologues…etc.
Par conséquent, l’enjeu actuel en matière d’enseignement du paysage est celui de se positionner par rapport aux attentes sociales contemporaines dans le domaine du paysage et par rapport au rôle actuel et à venir des professionnels de l’espace.
Parmi les attentes pédagogiques est celui de dégager les enjeux actuels des réflexions et des pratiques paysagères, de former des architectes sensibles à la dimension paysagère, capables d’interagir dans cette ouverture pluridisciplinaire et capables aussi d’intervenir dans les sites avec une grande sensibilité, à proposer le meilleur mode d’organiser notre relation avec la terre, et donc assimiler bien le rôle du paysage en tant qu’action préventive du développement durable.
Mener alors de front recherche, pratique et enseignement est une nécessité, je suis donc professeur, chercheur et praticienne. J’assure des enseignements d’Architecture et d’Architecture du Paysage et Aménagement des Territoires sous forme de cours magistral « Histoire et Théories du Paysage », « Espaces verts et paysages Urbains ; « Studio de Paysage » et
« d’Atelier d’Architecture ». Je participe à l’encadrement des projets de fin d’études et à l’encadrement de jeunes architectes et paysagistes dans le cadre de workshop internationaux. D’ailleurs, j’encourage vivement nos étudiants à participer à ce genre de manifestations très enrichissantes et fructueuses.
Parallèlement, j’exerce en tant que paysagiste chez Landscape & Design où je pratique mes connaissances sur des projets paysagers concrets, avec toujours une approche alliant par le paysage, la responsabilité sociale, culturelle et environnementale.
A+E // Pourquoi avez-vous été intéressée par Marrakech dans vos recherches ?
S.S // Comme dit Augustin Berque : « Le paysage est une entité relative et dynamique où, société, regard et environnement sont en constante interaction.»
Il fallait d’abord chercher à comprendre la dynamique du paysage, ensuite relever le processus de paysage à travers le regard, la société, l’environnement. Une profonde investigation théorique des lors s’imposa. En effet, Marrakech a été un cas particulier au Maroc par sa richesse en jardins. Les écrits d’Ibn Battouta, de Jean Nicolas forestier en témoignent. Marrakech était la ville la plus peuplée en jardins au Maroc. Aussi, connue comme capitale des eaux cachées par ses systèmes hydriques ingénieux, son patrimoine oral a été classé par l’UNESCO. Par conséquent, travailler sur Marrakech, ce n’était pas un choix de départ, ni un choix fortuit ; c’était plus le cas d’étude le plus intéressent comme résultat et aboutissement de cette première phase d’investigation.
En effet, Marrakech a connu un système équilibré entre architecture, végétations et eau. Jusqu’à nos jours, la lecture spatiale de la ville fait émerger les éléments qui ont contribué à forger son identité et à lui donner cette image de : Cité Rouge, Cité – Jardin, Cité des Eaux Cachées.
La ligne directrice de cette recherche a consisté à démontrer que l’image de Marrakech, a reflété l’art de vivre des civilisations qui ont représenté leurs temps dans son histoire. Cette image est tellement confuse actuellement qu’elle exprime la crise d’une culture paysagère qui sévit en ce moment. La question fondamentale était de retrouver la force du concept paysager dans le contexte contemporain, savoir comment régénérer toute une qualité de vie que reflétait, autrefois, les grands siècles des jardins.
L’idée était également de traduire mes propres intentions en anticipations projectives comme un langage d’interprétation du projet paysager afin de partager ma sensibilité avec le lecteur et communiquer mon propre regard sur Marrakech.
A+E // Quel enseignement en tirez-vous ?
S.S // En ce moment, il s’agit bien d’une réalité paysagère en crise tout aussi culturelle que spatiale, la matrice culturelle et civilisationnelle a sculpté historiquement la personnalité et le comportement à l’époque des grands siècles. Les valeurs morales et le fond de la culture spirituelle se basaient sur l’éducation et sur l’élévation du comportement des valeurs humaines.
Actuellement, la mauvaise connaissance de l’héritage culturel et civilisationnel a engendré un certain éloignement, sans profond attachement aux valeurs (identité, symbolisme, sacré, mémoire, etc.). L’’attachement de la société va vers tout ce qui est nouveau, et rentre dans le système de globalisation. Evidemment, cette transformation progressive de l’approche se traduit dans le comportement avec l’espace et elle se traduit par l’éclectisme.
La complexité croissante des problèmes de la ville, la dynamique temporelle et spatiale du paysage oblige les planificateurs d’aujourd’hui face à cette multiplicité d’enjeux, culturels, environnementaux, de définir ses missions pour un paysage humaniste et comme l’a cité Gilles Clément : pas pour planter mais pour innover, pas pour embellir mais pour répondre aux besoins réels des usagers. C’est un devoir, une responsabilité énorme qui est attendue afin de rétablir une interrelation équilibrée entre le naturel et l’artificiel et afin d’innover pour réinviter l’occupant à avoir un rapport didactique et participatif pensant aux générations futures. Ce sont ces valeurs sensationnelles et intellectuelles qui sont recherchées en tant que mission principale du paysagiste humaniste d’aujourd’hui.