Libération, du 6 Octobre 2010, définit la double peau en architecture comme une greffe, dans le sens positif du terme, avec les mots suivants : « Une greffe de peau qui estompe la frontière entre le bâtiment et la rue ». Joliment dit !
Et un peu plus loin, dans le même article, comme pour renforcer cette image d’une enveloppe n’ayant que des vertus, une consœur française nous rappelle que « la peau peut permettre de corriger les fractures de l’architecture liées à un site ». J’adhère !
Un des précurseurs de la double peau, mondialement connu mais très peu au Maroc, est l’architecte danois Arne Jacobsen qui, en 1961, après avoir remporté le concours d’architecture pour le projet du siège de la Danmarks National bank à Copenhague, se distingua alors par l’introduction du concept de la double peau en alliant des matériaux solides et lourds tels que le béton et le marbre pour cet édifice , somme toute monumental, avec une seconde peau en acier et verre.
Jacobsen était un rigoureux concepteur, adepte du fonctionnalisme, du modernisme, du structuralisme et du minimalisme. Pour lui, ce choix de double peau était plus une conséquence qu’un camouflage, plus une orientation qu’une lubie ou une fantaisie.
Des décennies plus tard, Jean Nouvel, dans la Tour Agbar à Barcelone, va démontrer, s’appuyant sur les potentiels de la thermodynamique des espaces tampons, les bienfaits de la double peau quand elle est pensée comme un outil de régulation thermique ainsi qu’un élément de décor et d’embellissement.
Il récidivera dans le projet de l’Institut du Monde Arabe, et cette fois-ci, avec une façade qui régulera la lumière et l’ensoleillement mais surtout, reflètera la dimension ethnique et symbolique du bâtiment.
La double peau est donc une véritable signature architecturale, pour le meilleur et pour le pire. Les façades double peau constituent souvent la caractéristique du bâtiment et se déclinent dans une diversité extrême, parfois novatrice, voire provocatrice, mais malheureusement trop souvent réductrice.
Nous assistons, ici au Maroc, à une sorte de phénomène de mode, qui veut que tout nouveau bâtiment emblématique comporte une façade plus ou moins réussie, doublée d’une seconde peau, pleine de fioritures avec comme must : l’enveloppe métallique découpée au laser sous forme de motifs de zellije ou autres témoins de notre marocanité. Magnifique !!!
Que veut-on nous dire ? Quelle est la signature architecturale ? Quelle lecture doit-on en faire ?
Si encore cette seconde peau ,cache-misère de certains bâtiments, s’inscrivait dans une démarche écologique, qu’elle contribuait à diminuer la déperdition thermique, à l’isolation phonique ou qu’elle servait, dans la chaleur de nos étés très marocains, eux ,comme écran protecteur, comme enveloppe dispensatrice d’ombre et de fraîcheur , nous pourrions souscrire à ces bienfaits aux détriments de la piètre qualité architecturale de ce qui se cache derrière.
Les soubassements de l’art de créer en architecture, contrairement à l’art pictural, se trouvent dans la justification du trait et du choix du concept. Ils ne se conçoivent pas comme création ratée qui se cache derrière une autre création rapportée, accolée, souvent copiée, supposée « sauver les meubles ».
Les courants de l’architecture moderne, en constante mutation, nous entraînent souvent dans des eaux tumultueuses où l’art de nager est plus salvateur que celui de flotter.