Rudy Ricciotti : pour l’amour du béton

C’est dans la cadre du World Of Concrete ( WOC ) qui a eu lieu cette année à Paris lors du salon Intermat au mois d’avril que Rudy Ricciotti, parrain de la manifestation, a donné une conférence portant sur ses réalisations. Architecte et ingénieur, Grand Prix National d’Architecture en 2006, Médaille d’or de l’Académie d’Architecture, il est avant tout le chantre du béton.


Rudy Ricciotti avoue un amour, un respect et une estime sans fin pour le béton, ce matériau dont il n’a cesse d’en explorer les limites. Il est présent, d’ailleurs, dans tous ces projets. Je me suis rendu à Paris expressément pour l’écouter parler de son matériau fétiche et du plaisir qu’il lui a procuré dans chacune de ses oeuvres. Je n’ai pas été déçu. Voici un extrait de ces indiscrétions.

LE MUCEM DE MARSEILLE


« Je dois vous avouer que le Mucem de Marseille n’est pas un projet dans l’humilité : il faut me le pardonner. Il ne fait pas de pipes à l’impérialisme des mythologies anglo-saxonnes. C’est un projet qui est dans la culture du travail de l’époque comme cette passerelle qui fait 135 mètres de portée, qui travaille essentiellement en compression avec ses voussoirs assemblés en post-contrainte. C’est une règle, un acte radical et minimum dès l’instant où il est dans un rapport d’élancement/hauteur de section d’environ 1/40°. Un record mondial de la manière de faire travailler le béton.
C’est une architecture qui est très féminine voire maniériste. C’est un choix : il vaut mieux être maniériste le jour et singulier la nuit que l’inverse ! Il y a un onirisme, un récit pour comprendre ce travail qui est un message de tendresse.
Dans cette gestion de l’ombre, il faut voir aussi la main du diable et ses complexités. Les gardes du corps sont drapés en inox et les structures verticales font ressortir l’emportée des structures horizontales. Et tout ça est un jeu aléatoire, un peu comme s’ils étaient dessinés à main levée ou au fusain. Il n’y a pas d’ordonnancement autoritaire, celui que la raison pourrait exercer comme pesanteur sur la passion ».

PAVILLON DES ARTS DE L’ISLAM – MUSEE DU LOUVRE


« C’est un projet que j’ai fait avec Mario Bellini, architecte milanais. On a creusé en infrastructure, sous le bâtiment. Il a fallu un coffrage spécifique pour l’escalier qui a fait l’objet d’un travail remarquable. Je ne savais pas qu’on pouvait faire avec des feuilles de contreplaqué des coffrages à double courbure, c’est-à-dire des paraboloïdes hyperboliques. C’est un ouvrage de 17 mètres de longueur en béton moulé d’une seule pièce. Imaginez le travail de ferraillage et de calage des aciers ! Je suis en pleine admiration et humble devant ces gens-là à la vue de cet escalier que j’ai mis un quart d’heure à dessiner. Ce béton, on dirait du cuir ! ».

LA MAISON DE L’EMPLOI A SAINT ETIENNE


« Ce n’est pas gai de venir dans cet établissement. Je ne me sentais pas de faire des fenêtres démocratiques. Je me suis, dans la plus grande lâcheté, adressé au peintre Claude Viallat, l’un des plus grands artistes de la seconde moitié du XXe siècle de la scène française, pour me permettre d’utiliser son modèle : le haricot. Les innombrables ouvertures, chacune d’elles taillée au burin par les ouvriers, portent en elles la marque indélébile de la sueur au travail, l’espérance de la vie et en même temps la violence et l’inquiétude face au travail ».

VILLA 356 EN PROVENCE


« Terrasse, piscine, murs, sols… c’est une maison faite avec un seul matériau : le béton auto-plaçant. Imaginez la dextérité des maçons car sur un ouvrage comme celui-ci, il n’y a aucune possibilité de reprise, aucun ragréage. Voyez où mène le maniérisme ! Oui je l’avoue, je fais une architecture de tapette : j’ai abandonné ma virilité en tant qu’architecte. Car c’est ça l’obsession d’un architecte : comment paraître viril, être raide ! Ici, la paroi en béton suit l’ondulation des vitrages qui ont la même tolérance dimensionnelle. Qui est le héros ? Le vitrier où le maçon ? Le maçon bien entendu ».

CADARACHE, SIÈGE DE L’ITER


« Ce sont des brise-soleils en béton fibré ultra performant pour fabriquer un drapé monumental sur plus de 200 mètres de longueur. C’est un bâtiment qu’on ne peut pas visiter. Moi-même, en tant que maître d’oeuvre, je n’ai pas pu le réceptionner : c’est aussi difficile que de rentrer dans une centrale nucléaire ».

MUSÉE JEAN COCTEAU


« C’est une chevelure faite en béton classique avec une bonne granulométrie à l’ancienne et bien vibré. Vous voyez bien que je suis un escroc de l’architecture. L’architecture comme posture narcissique christique et érotique. Je ne peux pas m’empêcher de tordre les choses parce que je ne sais pas tirer droit : on a toujours interdit les règles à l’agence. La toiture sur laquelle je ne voulais pas qu’il y ait de volume technique ou de machines de climatisation et de ventilation : Il n’y a rien qui dépasse, pas de relevé d’étanchéité pas de trou de ventilation. c’est finalement devenu un aéroport à mouettes. Il a fallu faire des ATEC pour passer tout ça ! ».

LES ATOUTS ENVIRONNEMENTAUX ET AUTRES DU BETON


« Le béton a beaucoup plus de vertus environnementales que toutes les autres ressources. Qu’on cesse de dire des conneries sur ce sujet c’est totalement inacceptable. L’inexpertise environnementale a atteint un tel degré d’autisme que vous pouvez faire tous les calculs que vous voulez : on ne vous croit toujours pas. Nonobstant le fait que dans cette réalité environnementale, la filière béton défend des emplois territorialisés et participe d’une économie de répartition de la richesse et du partage du travail. Cette affirmation linguistique de l’écriture du béton parle de survie et d’insoumission. Le béton, ça me fait rêver : c’est très lisse, c’est sexy ».

A PROPOS DES OUVRIERS ET DES ENTREPRENEURS


« Les entrepreneurs, je leur dois tout et quand je dis que je remercie les entrepreneurs, je passe pour un démagogue. Je leur dit même s’il vous plait. Dans la force du travail, il y a une dimension romantique, poétique, révolutionnaire et esthétique; et c’est là que réside la seule perspective critique. Les performances des artisans, ça m’émeut..».


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